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pays, a entraîné les intelligences d’élite. En outre, il faut tenir compte d’un trait particulier du caractère chinois. Les Chinois vénèrent la vieillesse ; ils expriment constamment, jusque par leur formule habituelle de salutation, les sentimens de respect que leur inspirent ceux qui les précèdent dans la vie. À leurs yeux, l’âge ne représente pas seulement une date, c’est un acheminement vers la perfection. Cette impression passe dès lors naturellement des personnes aux choses. On aime les antiquités par tradition ; on les estime très haut, parce qu’elles portent en elles un attribut de beauté, l’âge, que l’esprit est habitué à honorer par-dessus toutes choses. Il y a, en un mot, de l’instinct dans ce goût des Chinois pour les vieilleries, et, comme on l’a vu, ce goût se justifie encore par la supériorité évidente qui éclate dans les produits des anciens temps, et par la décadence si regrettable de l’art moderne. — M. Fortune, qui tient à être classé parmi les antiquaires et qui se sent animé de la haine vigoureuse que les amateurs chinois portent à la jeune porcelaine, examina avec beaucoup d’intérêt la collection de Tse-ki. Plus d’une fois il reconnut des vases ou de vieux bronzes qu’il avait marchandés dans les boutiques de Ning-po, et que son rival plus adroit avait enlevés au moment suprême. On se fait de ces tours-là entre antiquaires, et le prix de la victoire est d’autant plus précieux que la lutte a été plus vive. Heureux le marchand qui voit s’allumer autour d’un respectable débris des temps passés, enfoui depuis des années peut-être au fond de sa boutique, les convoitises ardentes de deux collectionneurs ! Comme il sait les animer, les surexciter l’un par l’autre, stimuler leur amour-propre, et les amener peu à peu dans les régions de l’extravagance par la menace d’accepter la dernière offre du concurrent plus généreux ! Ce sont les grandes journées du boutiquier chinois. Aussi ne sera-t-il pas assez honteux quand le lendemain il devra, faute de combattans, laisser pour une somme minime une merveille qu’il jurait bien de ne livrer que contre des monceaux d’or. C’est alors que l’amateur triomphe. M. Fortune éprouva à Tse-ki même une de ces douces jouissances à l’occasion d’un beau vase bleu d’une antiquité incontestable : le boutiquier voulait 60 piastres, et après une lutte de plusieurs mois il rendit les armes à 9 piastres. Avis aux voyageurs qui vont en Chine ! qu’ils se défient des marchands de curiosités et de leurs prix ! Je crois au surplus que pour ce genre de commerce l’avis serait bon partout.

Le climat de la Chine n’est pas précisément malsain, mais l’Européen s’y épuise vite, et, pendant les mois d’été, il doit tout à fait rompre avec le soleil et mener la vie la plus sédentaire. Autrement les fièvres et les dyssenteries viennent, et elles peuvent être mortelles.