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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/208

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des ponts en zigzag jetés sur les lacs, des portes rondes ou ovales qui encadrent les principaux points de vue. Les allées sont parfaitement entretenues, ainsi que les plates-bandes. Des inscriptions, placées sur les murs des pavillons, recommandent aux promeneurs les plus grands soins. Voici quelques-unes de ces inscriptions : « Vous êtes instamment priés de jeter votre bétel et les cendres de vos pipes en dehors des bordures. » — « Les plantes de ce jardin sont disposées pour le plaisir des yeux ; on n’a point épargné la dépense. Que les promeneurs veuillent bien ne pas arracher les fleurs ni les fruits, afin de ne point dégrader le jardin ! Nous prions les personnes qui liront cet avis de nous excuser. » Sur un arbre fruitier d’espèce rare, dont les branches répandent l’ombre sur l’allée, on lit cette recommandation : « Les maraudeurs sont priés de ne pas prendre les fruits de cet arbre. » La naïveté n’est point le fait des Chinois ; par conséquent il ne faut voir dans ces inscriptions qu’une marque assez singulière de leur excessive politesse et une confiance non moins singulière dans la discrétion d’autrui. Cette méthode est-elle préférable aux menaces d’amende, aux verres de bouteilles et aux sauts-de-loup, et prévient-elle les complots des voleurs ? C’est ce que M. Fortune ne nous dit pas. Quant à l’ensemble du jardin, il convient, pour s’en former une idée exacte, de rompre complètement avec nos idées européennes : pas de larges allées, pas de perspective, rien qui rappelle le style français ou anglais, mais une infinité de petits accidens, de petits détails entassés les uns sur les autres, pavillons, berceaux, rochers artificiels, ponts, portes, etc., le tout resserré dans un espace très limité, en un mot la matière d’un immense parc réduite à l’expression la plus simple. Voilà le jardin chinois, bien inférieur aux jardins d’Europe quant à l’harmonie du dessin et à l’agrément de la promenade. L’horticulture est cependant en grand honneur dans le Céleste-Empire ; louée par les sages, chantée par les poètes, elle compte de nombreux adeptes, non-seulement parmi les classes riches, mais encore dans les classes populaires, où le goût des fleurs a toujours été très répandu.

La ville de Canton est trop connue pour qu’il y ait intérêt à y faire un long séjour. Comme entrepôt des thés, elle a conservé une grande importance ; mais ce n’est point là que l’on peut recueillir les meilleurs renseignemens sur la production. M. Fortune, qui désirait engager pour l’Inde un certain nombre d’ouvriers habiles dans la fabrication du thé noir, se rendit à Fou-chou, capitale de la province du Fokien. Cette ville, située à peu de distance de la mer, sur les rives du fleuve Min, est comprise au nombre des ports ouverts aux Européens par les traités. Pendant près de dix ans, son commerce