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dont les frêles maisons pétillent comme un feu de joie ; les soldats pillent les boutiques, et, sous prétexte de poursuivre les rebelles, assassinent les bourgeois. On apprend que quelques fuyards attardés se sont cachés dans les cercueils que les Chinois se font fabriquer à l’avance et gardent soigneusement sous leurs yeux. Vite, les impériaux d’ouvrir tous les cercueils indistinctement pour tuer les vivans et dépouiller les morts. Ce monstrueux désordre se prolongea pendant plusieurs jours. Les gens paisibles regrettaient les insurgés et trouvaient, non sans raison, que le remède était pire que le mal. Voilà une restauration dans le style chinois, et pour le coup l’originalité est incontestable. Il est vrai que, chez ce peuple prompt et intelligent, les décombres sont bientôt déblayés, les maisons se relèvent en un clin d’œil, et les magasins approvisionnés par l’immense commerce qui déborde des fleuves et des canaux, s’encombrent de marchandises ; mais la nature ne procède pas aussi vite dans ses résurrections. Que sont devenues les belles pépinières que M. Fortune avait visitées lors de son premier séjour à Shang-haï, et où il se promettait de faire d’amples moissons ? La sophora japonica pendula a été fauchée par l’émeute, la salisburia adianifolia a été victime de la restauration ! Tels sont pour un botaniste les irréparables effets du désordre. Laissons M. Fortune à sa douleur professionnelle, et remarquons seulement que, si les révolutions chinoises ne se distinguent guère des nôtres par l’imprévu ni par les procédés, elles sont beaucoup plus sanglantes. C’est que, dans ce pays si peuplé, la vie des hommes a moins de prix qu’ailleurs ; la mort peut y travailler dans un si large champ que ses trouées sont presque insensibles : ce n’est point précisément de la cruauté, c’est une prodigalité excessive de la vie humaine.

Il ne faut pas rester sous le coup de ces pénibles impressions, et nous pouvons, dans une dernière excursion, retrouver l’air pur et les mœurs paisibles de la campagne, en visitant avec M. Fortune les districts de Nantsin et de Hou-cheou, célèbres dans le commerce de la soie. Dans le district de Nantsin, les parties basses du sol sont occupées par des rizières, les hauteurs par les plantations de mûriers. Le district d’Hou-cheou présente un aspect plus pittoresque avec ses collines onduleuses et ses champs de mûriers, qui ressemblent de loin à d’immenses forêts. Nous avons vu que la culture du thé est répartie entre un grand nombre de petites fermes ; il en est de même de la production du mûrier ainsi que de l’éducation des vers à soie, et il y a lieu de supposer que, dans un pays aussi peuplé, où les habitudes de la vie de famille sont enracinées si profondément, le sol presque tout entier est exploité d’après le système de la petite culture. Chaque chef de famille possède son