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autrement. Le Pre-Raphaelitism ou Pre-Raffaellitism, suivant l’orthographe adoptée d’abord par M. Ruskin et revisée ensuite par l’un de ses adversaires, M. Young, est aujourd’hui une doctrine publiquement professée par les uns, pieusement acceptée par les autres, prise au sérieux à peu près par tout le monde, sauf à produire jusqu’ici plus de manifestes écrits que de tableaux et à se formuler vaillamment dans les spéculations de la théorie en attendant les démonstrations de la pratique.

Le préraphaélitisme, — mot pédantesque de quelque façon qu’on l’écrive et, soit dit en passant, presque aussi maussade que l’idée qu’il exprime, — le préraphaélitisme est une pure négation de l’art tel que l’ont pratiqué les successeurs du Pérugin, et en particulier l’illustre élève de celui-ci. Or au nom de quel principe ? s’avise-t-on de supprimer ainsi tous les progrès accomplis depuis la fin du XVe siècle ? S’agit-il d’une réforme de la peinture au point de vue mystique, d’une réaction contre le paganisme de la renaissance dans le sens des efforts tentés par l’école allemande contemporaine ? Nullement ; l’anglicanisme d’ailleurs s’accommoderait assez mal d’un art renouvelé des quattrocentisti florentins[1]. Aussi la doctrine des préraphaélites de Londres n’a-t-elle rien de commun avec l’ascétisme pittoresque de M. Overbeck et de ses disciples. Ce n’est pas pour restaurer l’art religieux suivant les formes d’expression primitives qu’elle condamne les perfectionnemens introduits dans l’exécution matérielle par Raphaël et les autres grands maîtres italiens. Ces progrès, elle les répudie non pas en tant que concessions au réalisme, — autre mot fâcheux du vocabulaire moderne, — mais au contraire à titre d’imitation insuffisante et de transcription infidèle de la réalité.

Il semble au surplus que cette impuissance à comprendre les chefs-d’œuvre de l’école italienne, et en général les conditions idéales de la peinture, soit en Angleterre un vice du tempérament national, puisque les plus grands esprits eux-mêmes n’ont pas été sans infirmité sur ce point. Lord Byron écrivait d’Italie à M. Murray : « Je ne connais rien à la peinture et je la déteste, à moins qu’elle ne me rappelle quelque chose que j’ai vu ou que je crois possible de voir. C’est pourquoi je cracherais volontiers sur tous les saints et autres sujets d’une moitié des tableaux que je rencontre dans les églises et dans les palais. De tous les arts la peinture est le moins naturel, le plus artificiel, celui qui en impose le plus à la bêtise des hommes. Je n’ai jamais vu de tableau ou de statue qui

  1. On sait que cette dénomination de quattrocentisti s’applique en Italie aux artistes qui vivaient au XVe siècle, comme celle de trecentisti désigne les artistes du XIVe.