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est-il venu d’en appeler à Raphaël lui-même des paradoxes que ses œuvres suscitent, et d’opposer un témoignage imprévu de son génie aux attaques d’une critique, sans mesure et d’un dogmatisme sans raison.

Singulier contraste, c’est à Londres même, au moment à peu près où l’école préraphaélite formulait le plus ouvertement ses prétentions et M. Ruskin ses plus violens réquisitoires, qu’un nouveau tableau de Raphaël vint à être mis en lumière. Et pour que la leçon fût plus sévère encore, le démenti péremptoire de tous points, il se trouva que cet ouvrage appartenait à la première manière du maître, à l’époque par conséquent où il en était encore à interroger naïvement la nature, sans système préconçu, mais aussi sans servilité, sans recherche puérile, mais non certes sans de pieux scrupules. Jamais exemple plus significatif ne fit ressortir les caractères de l’ingénuité véritable ; jamais œuvre ne détermina mieux la limite entre la délicatesse et la mesquinerie, entre la précision et la curiosité minutieuse. Le temps n’est pas arrivé sans doute où le peintre d’Apollon et Marsyas aura pris pleinement possession de lui-même, où son pinceau dominera chaque forme, son génie chaque condition d’un sujet. Pour le moment, Raphaël se cherche et s’étudie encore. S’il n’hésite pas, à vrai dire, en face de sa tâche, il n’ose qu’à demi s’abandonner à ce qu’il sent, de peur d’exprimer incomplètement ce qu’il voit, et cette défiance se trahit par quelque chose de formel et d’inexpérimenté tout ensemble ; mais quelle grâce dans cette inexpérience même, quelle fraîcheur d’inspiration sous ces dehors un peu timides, quel charmant mélange de secrète indépendance et de discipline, d’originalité personnelle et d’aptitude à s’assimiler les mérites ou les découvertes d’autrui ! On le sait, l’art de Raphaël, comme celui de Mozart, est la somme même des qualités que les autres maîtres ont possédées isolément : le petit tableau d’Apollon et Marsyas annonce déjà cette faculté souveraine de correction et d’harmonie. Il est à la fois un témoignage des propres instincts de Raphaël et un résumé de tous les progrès, de tous les mouvemens qui se sont succédé, dans l’école italienne depuis, le jour où les vieux maîtres florentins ont popularisé les premières notions du vrai jusqu’au moment où les exemples de l’antiquité grecque sont venus révéler le secret du beau. Et si notre pensée va de l’œuvre à l’ouvrier, comment ne pas éprouver pour celui-ci une sorte d’admiration attendrie ? Que l’on se figure ce beau jeune homme au visage de vierge, au front doux et radieux, traçant d’une main inspirée des formes nobles comme sa pensée, élégantes comme sa personne : on n’aura pas seulement une image accomplie du génie dans sa fleur ; on pressentira l’idéal même de la perfection humaine. Jean-Jacques