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Les maîtres antérieurs avaient, en se frayant des voies différentes, parcouru le champ de l’art jusqu’aux dernières limites. Restait à en embrasser l’étendue d’un coup d’œil, à marquer le point central où convergeraient toutes ces voies ouvertes : par un privilège que nul ne devait posséder après lui, Raphaël sut discerner cet exact milieu Ses découvertes personnelles, les inspirations ou la science de ses devanciers, il maintint le tout dans un si juste équilibre que la perfection de l’art semble s’être personnifiée en lui. Seul entre tous les peintres, il a produit des œuvres irréprochables sans froideur, magistrales sans parti pris apparent ni sacrifice d’aucune sorte. Ce sont là, dira-t-on, des vérités vulgaires. Plaise à Dieu qu’elles paraissent telles en effet et que, dans le domaine des arts comme ailleurs, le lieu commun nous tienne aguerris contre les paradoxes et les sophismes ! C’est quelquefois un devoir pour la critique d’insister sur ces banalités saines qui, familières de longue main à tous les esprits, semblent à de certains momens n’avoir profondément convaincu personne : sorte de monnaie courante dont chacun se sert par habitude, sauf à n’en vérifier fort attentivement ni le poids, ni le titre, et à se formaliser assez peu des tentatives que fait, pour la déprécier, le charlatanisme esthétique. Rappeler aujourd’hui même en termes succincts, les droits de Raphaël à notre admiration, ce sera, si l’on veut, tomber forcément dans les redites et prêcher des gens de tout temps convertis. N’en va-t-il pas pourtant des vérités de l’art comme des vérités appartenant à un ordre moral plus élevé encore ? Ne faut-il pas, sous peine de laisser la foi vaciller et défaillir, faire valoir auprès des croyans eux-mêmes les raisons qu’ils ont de croire et les maximes qui les obligent ? Notre époque, on le sait, ne pèche pas en matière d’art par une excessive obstination dans les principes. Trop de manifestations contradictoires, trop d’enthousiasmes ou d’agressions injustes, trop de reviremens en tout sens nous ont appris à redouter sur ce point les caprices de l’opinion. Et quand on voit, de progrès en progrès, l’erreur ou l’esprit de dénigrement attenter jusqu’à la gloire la plus légitime qui fut jamais,’jusqu’au talent le plus complet que le monde ait connu, on se trouve même au risque de prendre un soin superflu, autorisé à recourir aux preuves cent fois invoquées déjà. On est autorisé surtout à encourager, avec un surcroît de sympathie, les travaux inspirés par le zèle du vrai, où l’on ne rencontre ni arrière-pensée hautaine, ni phraséologie impertinente, ni prétention à ce pontificat esthétique qu’on hésite si peu de nos jours à s’arroger. Aussi un livre dont nous parlions en commençant est-il le bienvenu au moment où nous sommes et dans l’atmosphère qui nous entoure ; l’essai de M. Gruyer sur les fresques de Raphaël au