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« Nous entrâmes dans la grande ville par un temps d’automne sombre et triste. J’eus de la peine à me figurer qu’on pût s’habituer à ce climat, et Guido, dès les premiers pas, s’attrista et se démoralisa visiblement. Nous louâmes très cher une misérable petite chambre garnie. Là, nous fîmes un peu de toilette, le théâtre fut démonté, et les burattini mis sous clé dans une caisse. Nous nous proposions de vendre notre établissement à quelque saltimbanque, et pendant plusieurs jours nous ne songeâmes qu’à prendre langue et à voir les monumens, spectacles et curiosités de la capitale française.

« Au bout de ces huit jours, notre mince capital était fort entamé, et le pire, c’est que je ne voyais en aucune façon le moyen de m’y prendre pour le renouveler. Je m’étais fait de grandes illusions, ou plutôt je ne m’étais fait aucune idée de ce que c’est qu’une véritable grande ville et de l’épouvantable isolement où y tombe un étranger sans ressources, sans amis, sans recommandations. Je m’informai de Comus, espérant qu’il me procurerait quelques relations. Comus n’était pas de retour de ses tournées, et n’avait encore acquis de réputation qu’en province. J’essayai de faire venir les papiers de Silvio Goffredi, au moyen desquels je comptais rédiger, sous son nom, la relation de ses recherches historiques. Je ne comptais sur aucun profit matériel, mais j’espérais, en accomplissant un devoir, me faire un nom honorable et quelques amis. En Italie, quelques-uns m’étaient restés fidèles ; ils me firent cet envoi, qui ne me parvint jamais. Ni le cardinal ni mon jeune élève ne répondirent à mes lettres, et les autres se bornèrent à quelques stériles témoignages d’intérêt, sans vouloir se compromettre jusqu’à me recommander aux gens en crédit de ma nation qui se trouvaient à Paris. Ils me conseillèrent même de ne pas attirer sur moi l’attention de notre ambassadeur, lequel se croirait peut-être obligé, pour l’honneur de sa famille (il était parent de Marco Melfi), de solliciter du roi de France à mon intention une petite lettre de cachet.

« Quand je vis quelle était ma situation, je ne comptai plus que sur moi-même ; mais croyez, monsieur Goefle, que j’eus quelque mérite à rester honnête homme dans un pareil abandon et avec la cruelle vie qu’il faut mener dans une ville de luxe et de tentations comme Paris ! J’avais été naguère l’hôte des palais, sous un ciel splendide, puis l’insouciant voyageur à travers des paysages enchantés ; je n’étais plus que le morne et mélancolique habitant d’une mansarde, aux prises avec le froid, la faim et quelquefois le dégoût et le découragement. Pourtant, grâce à Dieu et à mes bonnes résolutions, je me tirai d’affaire, c’est-à-dire que je ne trompai personne et ne mourus pas de misère. Je réussis à faire imprimer quel-