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verticalement d’une croisée située au second étage, très à droite de celle de l’ourse, jusqu’à un pan de mur écroulé, qui se terminait par de nouveaux blocs de rochers. Il lui sembla même voir crouler de petites pierres le long de cette lézarde, comme si quelqu’un venait de s’y introduire ; mais, en s’en approchant autant que possible, il la regarda comme inaccessible à des pas humains, et se dirigea plus loin.

Cependant la voix recommençait son chant plaintif, et Christian s’amusa ou plutôt s’impatienta à chercher la chanteuse, de place en place, dans le petit chaos formé par les blocs granitiques ; mais chaque fois ce fut pour lui une déception nouvelle, à ce point qu’il en fut un peu ému. Ce chant sauvage, ces fragmens d’une noire apocalypse tronqués et comme inspirés par le délire, dans ce lieu sinistre et à cette heure mélancolique du soir, avaient quelque chose d’effrayant, et Christian pensa involontairement à ces sorcières des eaux dont l’existence fait le fond de toutes les légendes suédoises et même celui de la croyance populaire dans tout le nord de l’Europe.

Il se persuada alors que la voix devait sortir du donjon même. Il y avait peut-être là, dans quelque geôle, une personne captive, et par trois fois il l’appela au hasard en lui donnant le nom mythologique de Vala, c’est-à-dire de sibylle, qu’elle semblait vouloir s’attribuer dans son chant. Dès lors la voix redevint muette, ce qui semblait d’accord avec la tradition superstitieuse du pays, que, quand on vient à bout d’appeler par leur nom les esprits grondeurs ou plaintifs des montagnes, on les intimide ou on les console, et que dans tous les cas on leur impose silence.

Mais une autre idée poursuivait Christian pendant qu’il reprenait en dehors le chemin du donjon, et il n’y rentra pas sans se demander si quelque victime du mystérieux baron Olaüs ne gémissait pas, atteinte de folie, dans quelque cachot situé sous ses pieds. Il oublia cette fantaisie de son imagination en trouvant M. Goefle attablé dans la salle de l’ourse.

— Eh bien ! lui cria l’avocat sans se déranger, vous avez failli me mettre dans de belles affaires avec votre équipée de cette nuit ! Le baron, chose étrange, ne m’en a pas dit un mot ; mais la comtesse Elveda n’a jamais voulu me croire quand je lui ai juré et protesté que je n’avais ni neveu, ni enfant naturel.

— Quoi ! monsieur Goefle, vous avez désavoué un fils qui vous faisait tant d’honneur ?

— Ma foi, oui ; il n’y avait pas moyen pour moi de soutenir la plaisanterie et de prendre la responsabilité d’une pareille mystification. Savez-vous que vous n’avez point du tout passé inaperçu, et qu’indépendamment de votre scène avec l’amphitryon, vous avez frappé tout le monde, les dames surtout, par vos grâces et vos