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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/317

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prit une résolution singulière que je regarde comme un acte de vengeance et de désespoir et comme le résultat d’une mauvaise inspiration.

« Elle fit venir les juges et les officiers du canton, et en présence de toute sa maison elle leur déclara qu’elle était enceinte, et qu’elle prétendait maintenir tous les droits d’héritage de l’enfant dont elle allait être mère et dont elle était la tutrice naturelle. Elle fit cette déclaration avec une grande énergie, annonçant la résolution de partir pour Stockholm, afin de faire constater son état et reconnaître ses droits jusqu’à la naissance de son enfant. — Il est très inutile de vous fatiguer et de vous exposer aux accidens du voyage, répondit le baron Olaüs, qui avait écouté la déclaration avec le plus grand calme. J’accepte avec trop de joie l’espérance de voir revivre la postérité de mon bien-aimé frère pour consentir à de nouvelles discussions. Je vois que ma présence vous inquiète et vous irrite. Il ne sera pas dit que, par ma volonté, j’aurai aggravé la fâcheuse situation de votre esprit. Je me retire et ne reviendrai ici qu’après la naissance de votre enfant, s’il est vrai que vous ne vous fassiez pas d’illusions sur votre état.

« Olaüs partit en effet, disant à tout le monde qu’il ne croyait pas un mot de cette grossesse, mais qu’il n’était nullement pressé d’entrer en possession de son héritage. — Je peux bien, ajoutait-il, donner aux convenances et à l’exaltation inquiétante de ma belle-sœur une année, s’il le faut, pour que la vérité s’établisse. — C’est ainsi qu’il parla à mon père, à Stockholm, où il retourna aussitôt, et je me souviens que mon père lui reprocha l’excès de sa confiance et de sa délicatesse. Il pensait que la baronne Hilda avait inventé cet enfant posthume. Ce n’est pas la première fois qu’une veuve eût supposé un héritier pour dépouiller de ses droits l’héritier légitime. Le baron répondait avec une mansuétude infinie : « Que voulez-vous ? Je suis las des soupçons odieux que cette femme exaspérée cherche à faire peser sur moi. Le meilleur démenti que je puisse lui donner, c’est de montrer un désintéressement excessif, et même, pour que sa haine ne me poursuive pas jusqu’ici, ce que j’ai de mieux à faire jusqu’à nouvel ordre, c’est de voyager. »

« Le baron Olaüs partit peu de temps après pour la Russie, où il fut reçu avec distinction par la tsarine, et où il commença à nouer des intrigues qui, depuis ce temps, ont fait de lui un des bonnets les plus tenaces et les plus dangereux de la diète. On prétend qu’il se forma singulièrement à cette cour, et qu’il en revint avec un caractère, un genre d’esprit, des manières et des principes qui le firent paraître dès lors un tout autre homme : toujours tranquille et souriant, mais d’un sourire sinistre et d’une tranquillité effrayante ;