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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/36

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velisseuse roulait le drap mortuaire autour du pauvre cadavre. Je laissai la liquidation aux mains de la famille, j’avais eu assez d’ordre dans ma prodigalité pour savoir que s’il ne me restait rien, du moins je ne laissais aucune dette derrière moi.

« J’allais quitter la maison quand le petit Juif dont je vous ai parlé se présenta. Je pensais qu’il venait tâcher d’acquérir à bas prix quelques-unes des précieuses antiquailles de la collection de M. Goffredi, qui allait être mise aux enchères ; mais s’il y songea, il eut la délicatesse de ne m’en point parler, et, comme je l’évitais, il me suivit dans le jardin, où j’allais cueillir quelques fleurs, seul souvenir matériel que je voulusse emporter. Là, il me mit dans la main une bourse assez bien garnie et voulut s’enfuir sans me donner d’explication.

« Je pensais si peu à d’autres parens que ceux que je venais de perdre, que je crus à quelque aumône dont ce Juif était l’intermédiaire, et que je jetai la bourse loin de moi pour le forcer à venir la reprendre. Il revint en effet sur ses pas, et, la ramassant, il me dit : — Ceci est à vous, bien à vous. C’est de l’argent que je devais aux Goffredi et que je vous restitue.

« Je refusai. Il se pouvait que cette petite somme fût nécessaire pour parfaire quelque appoint dans les dettes de la succession. Le Juif insista. — Ceci vient de vos véritables parens, me dit-il, c’est un dépôt qui m’était confié, et que je me suis engagé à vous remettre quand vous en auriez besoin.

— Je n’ai besoin de rien, lui répondis-je ; j’ai de quoi aller à Rome, où les amis de M. Goffredi me trouveront de l’occupation. Rassurez mes parens sur mon compte. Je présume qu’ils ne sont pas riches, puisqu’ils n’ont pu me faire élever sous leurs yeux. Remerciez-les de leur souvenir et dites-leur qu’à l’âge où je suis, avec l’éducation que j’ai reçue, ce sera bientôt à moi de les assister, s’ils ont besoin de moi. Qu’ils se fassent connaître ou non, j’accepterai cette tâche avec plaisir. Ils m’avaient mis en de si bonnes mains, et, grâce à ce choix, j’ai été si heureux, que je leur dois une vive reconnaissance.

« Tels étaient mes sentimens, monsieur Goefle ; je ne me fardais point, car tels ils sont encore. Je n’ai jamais éprouvé le besoin d’accuser et d’interroger ceux qui m’ont donné la vie, et je ne comprends pas les bâtards qui se plaignent de n’être pas nés dans une condition de leur choix, comme si tout ce qui vit n’avait pas été de tout temps destiné à vivre, et comme si ce n’était pas Dieu qui nous appelle ou nous envoie en ce monde dans les conditions qu’il lui plaît d’établir.

— Vos parens ne sont plus, me répondit le petit Juif. Priez pour eux et recevez l’offrande d’un ami.