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Russie. À l’époque du traité d’Amiens (1802), Alexandre, successeur de Paul, était revenu à la politique de son aïeule, et il était plus disposé à s’emparer des provinces de l’empire ottoman qu’à agrandir les états du sultan. Le comte George Mocenigo de Zante fut chargé d’organiser le pays. Cette tâche n’était pas sans difficulté. La guerre civile avait éclaté entre les oligarques favorisés trop visiblement par la Russie et les démocrates. Cependant le calme finit par se rétablir. Capodistrias, né à Corfou en 1776, d’une famille d’origine slave[1], nommé secrétaire d’état, reçut la mission de pacifier Céphalonie et Zante. Avertie par les insurrections des Ioniens et cédant à la nécessité, la Russie donna enfin aux Sept-Iles, le 6 décembre 1803, une constitution qui ne rencontra pas d’opposition sérieuse. Cette constitution exprimait assez fidèlement les tendances des Ioniens. Dévoués à l’église orthodoxe, ils n’entendaient point entraver la liberté des autres communions chrétiennes. La domination de l’aristocratique Venise avait maintenu entre les différentes classes des barrières que la nouvelle constitution abaissait prudemment, en concentrant tous les droits politiques dans le corps électoral, dont les propriétaires roturiers pouvaient faire partie. Les privilèges accordés aux grades universitaires étaient conformes au génie des Hellènes, toujours disposés à rendre hommage à la science. Le secrétaire d’état Capodistrias partageait cette manière de voir; il eut soin d’établir des écoles, de favoriser l’enseignement de la langue hellénique, et contribua ainsi à la renaissance de la littérature nationale.

Il est permis de supposer que le tsar Alexandre, en garantissant la constitution de 1803, se proposait de populariser parmi les Grecs le protectorat de la Russie, et de faire de Corfou un centre de propagande. Du reste, nous n’en sommes pas réduits aux conjectures. En effet, les Iles-Ioniennes furent pendant quelques années l’asile des hommes qui avaient lutté avec le plus d’énergie contre la domination des Turcs. Après la ruine de Souli et la mort héroïque de Samuel, les Souliotes, expulsés de leurs montagnes au nombre de dix-sept cents, se retirèrent à Corfou, où les Russes leur donnèrent des terres et les moyens de former une colonie; mais il fut impossible de transformer en laboureurs pacifiques les héros qui avaient fait trembler l’Albanie musulmane. On se décida à les organiser en corps de milice dont on attendait de grands services. Cette attente fut trompée. Les mêmes hommes qui avaient défendu leur terre natale avec tant de valeur se battirent mollement contre les chrétiens dans les expéditions de Naples et de Cattaro (1806-1807). Indifférens aux projets du tsar Alexandre, ils prouvèrent que le patriotisme

  1. les Capodistrias étaient venus de l’Istrie, de la ville de Capo-d’lstria. Voyez sur le comte Capodistrias la Revue du 15 avril 1841.