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tis que j’étais perdu, soit que les assassins fussent revenus de leur étourdissement, soit que les sbires eussent été avertis par eux de venir s’emparer de moi. Je rassemblai ce qui me restait de forces pour sauter par la fenêtre. Le saut n’était que d’une vingtaine de pieds, j’arrivai sans grand mal sur le pavé de la cour, et, serrant mon habit autour de moi, pour que le sang qui jaillissait de mon épaule ne marquât pas ma trace, je m’enfuis aussi loin que mes jambes purent me porter.

« Bien me prit de pouvoir gagner la campagne. Mon affaire était des plus mauvaises, s’étant passée sans témoins. Et qu’importait d’ailleurs que je fusse dans mon droit, que ma conduite eût été loyale et généreuse, que mon adversaire fût un lâche scélérat ? Il était de l’une des premières familles du royaume, et la sainte inquisition n’eût fait qu’une bouchée d’un pauvre hère de mon espèce.

« Je trouvai un refuge pour la nuit dans une cabane de pêcheurs ; mais je n’avais pas sur moi une obole pour payer l’hospitalité dangereuse que je réclamais. D’un autre côté, mes habits déchirés et souillés de sang ne me permettaient plus de me montrer dehors. Ma blessure, — grave ou non, je n’en savais rien, — me faisait beaucoup souffrir. Je me sentais faible, et je savais bien que toute la police du royaume était déjà en émoi pour m’appréhender au corps. Couché sur une mauvaise natte, dans une petite soupente, je pleurai amèrement, non sur ma destinée, je ne me serais pas permis cette faiblesse, mais sur la brusque et irréparable rupture de mes relations avec le bon cardinal et mon aimable élève. Je sentis combien je les aimais, et je maudis la fatalité qui m’avait réduit à ensanglanter cette maison où j’avais été accueilli avec tant de confiance et de douceur.

« Mais il ne s’agissait pas de pleurer, il s’agissait de fuir. Je pensai bien à aller trouver le petit Juif qui prétendait connaître mes parens ou les amis mystérieux qui veillaient sur moi, ou qui l’avaient chargé de le faire. J’ai oublié de vous dire que cet homme était venu se fixer à Naples, et que je l’avais plusieurs fois rencontré ; mais rentrer dans la ville me parut trop périlleux : écrire au Juif, c’était risquer de me faire découvrir. J’y renonçai.

« Je ne vous ferai pas le récit des aventures de détail au milieu desquelles s’opéra mon évasion du territoire de Naples. J’avais réussi à échanger mes vêtemens en lambeaux contre des guenilles moins compromettantes. Je trouvais difficilement à manger ; les hommes du peuple, sachant que l’on poursuivait le vil assassin d’un noble personnage, se méfiaient de tout inconnu sans ressources, et sans les femmes, qui en tout pays sont plus courageuses et plus humaines que nous, je serais mort de faim et de fièvre. Ma blessure me forçait de m’arrêter souvent dans les recoins les plus déserts que je pouvais