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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/444

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les cheveux à l’air, les épaules à l’air, se levant à chaque instant par des élans irrésistibles et aspirant avec ivresse la vue du soleil et le parfum du carnage.

Quand le taureau est mou, quand il n’attaque pas, il est poursuivi de sifflets et de huées. J’ai retrouvé au cirque le fameux air qui me manquait depuis 1848, celui des lampions ; c’est sur cette mesure que le public chante : Al corral/ al corral ! à la basse cour ! ou bien il crie : Fuego ! fuego ! c’est-à-dire qu’il demande les baguettes d’artifice que l’on pique sur le cou du taureau, qui lui partent dans les oreilles et qui le mettent en délire. Je n’ai point eu occasion de voir les banderillas de fuego, qui du reste s’accordent rarement, et qu’on n’a pas le droit d’exiger quand le taureau a déjà chargé un picador. Quand le public se monte, il devient aussi furieux que les taureaux ; il crie, il siffle, il agite les mouchoirs, et ces milliers de bras en mouvement sont un spectacle curieux. Le sixième et dernier taureau de la journée se montrant très faible, toute la salle s’est mise à chanter en mesure : Otro toro ! otro toro ! pour s’en faire donner un septième aux frais de l’entrepreneur. En voyant les picadores rentrer en lice, on a cru un instant que le président avait cédé à la demande populaire, et on l’a vivement applaudi ; mais une fois le sixième tué, il a disparu.

Les picadores sont le premier acte ; les banderilleros sont le second. Quand le taureau a exterminé un nombre suffisant de chevaux ou qu’il ne mord pas à l’attaque, on crie : Banderillas ! et une fanfare annonce l’entrée en scène des nouveaux combattans. Le jeu est dangereux, il exige une prestesse et une précision consommées ; il consiste à se poser en face du taureau et, en passant les deux bras entre ses cornes, à lui planter sur le cou deux petites flèches, quand il baisse la tête pour fondre sur son ennemi. J’ai rarement vu les banderilleros manquer ce coup d’adresse, et il y en a qui y mettent une véritable élégance. Le noble taureau, irrité par ces pointes barbelées, comme un grand cœur est quelquefois exaspéré par des piqûres d’épingles, secoue la tête avec rage, et plus il la secoue, plus les flèches s’attachent à sa chair. On apporte dans les banderillas une variété pleine de fantaisie : tantôt elles ne sont ornées que de simples découpures de papier, tantôt elles ont des guirlandes de faveurs roses. Un jour où le spectacle était une œuvre pie, les flèches portaient plusieurs petites boîtes en cartons qui contenaient des pigeons et qui s’ouvraient quand la pointe avait piqué le taureau. Cette invention pleine de candeur m’a paru avoir beaucoup de succès.

Le pauvre taureau, harcelé et tourmenté par des traits invisibles et insaisissables, pousse des beuglemens qui remplissent les airs, et qui dominent, comme le tonnerre, la voix des hommes ; on dirait