et héroïques : elle ne figure d’abord dans les productions de l’esprit humain qu’accessoirement, comme dans la Bible ou chez Homère, sous une forme très simple, calquée sur la nature, sans aucune nuance de raffinement, offrant à peine la trace de ce sentiment réfléchi qui fait particulièrement goûter les douceurs de la vie champêtre à des hommes fatigués des agitations d’une autre existence. Ce n’est qu’aux époques à la fois raffinées et troublées que le genre pastoral devient un genre à part, qui revendique sa place dans le domaine des lettres. C’est après qu’Alexandre a remué la Grèce et l’Asie, après que la civilisation grecque est parvenue à son plus haut degré de splendeur, que l’on voit paraître des poètes comme Théocrite, Bion, Moschus, qui se consacrent spécialement à chanter les douceurs de la vie pastorale. C’est à une période analogue de la civilisation latine que Virgile écrit ses églogues, comme pour offrir à des générations corrompues et tourmentées le tableau d’un idéal de bonheur paisible qui les séduit par ses contrastes avec la vie réelle. Tous ces glorieux représentans de la pastorale antique, avec les diversités de talent qui les distinguent, les uns plus simples, les autres plus élégans, ont eu ce privilège, qui a manqué à la plupart de leurs successeurs modernes, de pouvoir allier à toutes les délicatesses d’une poésie travaillée un fonds de naïveté qui permet toujours de retrouver la nature sous les embellissemens de l’art ; c’est enfin dans la complète décadence, en quelque sorte au milieu de l’écroulement du monde païen, qu’un écrivain subtil, un amateur laborieux de l’ingénuité, l’auteur de Daphnis et Chloé, se complaît à entourer d’un cadre rustique l’analyse des premières agitations des sens.
Lorsqu’après l’invasion des Barbares l’Europe recommence en quelque sorte une nouvelle existence, l’inspiration pastorale est d’abord très rare. C’est à peine si quelques détails champêtres se rencontrent çà et là à travers les grands coups d’épée et les enchantemens des poèmes chevaleresques. Quand les troubadours et les trouvères composent ce qu’ils appellent une pastourelle, c’est toujours à peu près sur le même thème, et le caractère pastoral du morceau n’est indiqué que par la condition d’un des deux personnages. C’est un chevalier qui rencontre une bergère, et qui cherche à la séduire. Quelquefois, comme dans le jeu de Robin et Marion, le chevalier apparaît au milieu des amusemens et des entretiens de plusieurs bergers et bergères. Mais ces divers types champêtres sont esquissés naïvement, grossièrement, sans aucune préoccupation d’art, et en même temps trop superficiellement pour qu’on puisse attribuer à l’auteur l’intention, non-seulement de poétiser, mais même de peindre avec complaisance la vie pastorale. Nous ne trouvons