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Pendant cette bizarre interruption, M. Goefle avait eu une attitude non moins comique. — Attendez donc ! dit-il en prenant le burattino ; tout ce que vous avez dit là est vrai et bien raisonné. Et maintenant je m’explique le plaisir extraordinaire que j’ai pris aux représentations de Christian Waldo ; mais ce que vous ne me dites pas et ce que je vois clairement, c’est que ce bon petit personnage que je tiens là,… et que je voudrais bien faire remuer et parler… Allons, mon petit ami, ajouta-t-il en enfonçant ses doigts dans la tête et dans les manches du burattino, regarde-moi un peu… C’est cela, oui, tu es fort gentil, et je te vois de près avec plaisir. Eh bien ! je te reconnais maintenant ; tu es Stentarello, le jovial, le moqueur, le gracieux Stentarello, qui m’a tant fait rire, il y a quinze jours, à Stockholm. Et vous, mon garçon, ajouta encore M. Goefle en se tournant vers son hôte, bien que je n’aie jamais vu votre figure, je vous reconnais aussi parfaitement à la voix, à l’esprit, à la gaieté et même à la sensibilité ; vous êtes Christian Waldo, le fameux operante recitante des burattini napolitains !

— Pour avoir l’honneur de vous servir, répondit Christian Waldo en saluant le docteur avec grâce, et si vous désirez savoir comment Cristiano del Lago, Cristiano Goffredi et Christian Waldo sont une seule et même personne, écoutez le reste de mes aventures.

— J’écoute, et à présent j’en suis très curieux ; mais je veux savoir d’où vient ce nouveau nom de Christian Waldo ?

— Oh ! celui-là est tout nouveau en effet ; il date de l’automne dernier, et il me serait difficile de vous dire pourquoi je l’ai choisi. Je crois qu’il m’est venu en rêve, comme une réminiscence de quelque nom de localité qui m’aurait frappé dans mon enfance.

— C’est singulier ! n’importe. Vous m’avez laissé dans la baraque des burattini, sur la place de…

— De Celano, reprit Christian. Encore sur les rives d’un beau lac ! Je vous assure, monsieur Goefle, que ma destinée est liée à celle des lacs, et qu’il y a là-dessous un mystère dont je saurai peut-être un jour le mot.

« Vous n’avez pas oublié que j’avais la police à mes trousses et que, sans la baraque de marionnettes, j’étais probablement pris et pendu. Or cette baraque était fort petite et ne pouvait guère contenir qu’un homme. Quand je vous ai demandé, à vous habitant d’un pays où ce divertissement tout italien n’est guère en usage et n’a peut-être été apporté que par moi, si vous saviez comment les baraques de burattini étaient agencées, c’était pour vous montrer ma situation entre les jambes de l’operante, lequel, occupé à faire battre Pulcinella avec le sbire, les mains et les yeux en l’air, et l’esprit également tendu à l’improvisation de son drame burlesque, n’avait