Ce n’est que très accessoirement, très superficiellement, que quelques prosateurs et quelques poètes de cette époque s’inspirent des beaux aspects, des grands spectacles de la terre et des cieux ; mais si ce genre d’inspiration n’a pas été plus répandu alors, ce n’est pas la faute de d’Urfé, car, dès le début du siècle, il a montré le parti qu’on en pouvait tirer. Éloigné du pays où il avait passé sa jeunesse, il en avait conservé un très vif et très tendre souvenir, qui se traduit par des tableaux dont la ressemblance est encore aujourd’hui constatée par tous ceux qui l’ont vérifiée sur les lieux. S’il est vrai du reste que d’Urfé, en tant que paysagiste, n’a point eu de successeurs immédiats au XVIIe siècle, son mérite et son charme sous ce rapport étaient loin d’être méconnus, même de son temps. On en peut juger par cette anecdote que nous raconte Tallemant des Réaux, et qui a pour théâtre la maison de l’abbé de Gondy, depuis cardinal de Retz : « Dans la société de la famille, dit Tallemant (Mme de Guémenée en était), on se divertissait, entre autres choses, à s’écrire des questions sur l’Astrée, et qui ne répondait pas bien payait pour chaque faute une paire de gants de frangipane. On envoyait sur un papier deux ou trois questions à une personne, comme, par exemple, à quelle main était Bonlieu au sortir du pont de La Bouteresse, et autres choses semblables, soit pour l’histoire, soit pour la géographie ; c’était le moyen de savoir bien son Astrée. Il y eut tant de paires de gants perdues de part et d’autre, que, quand on vint à compter, car on marquait soigneusement, il se trouva qu’on ne se devait quasi rien. D’Ecquevilly prit un autre parti : il alla lire l’Astrée chez M. d’Urfé même, et à mesure qu’il avait lu, il se faisait mener dans les lieux où chaque aventure était arrivée[1]. »
Ce goût de la précision et de l’exactitude descriptives qui distingue d’Urfé ne se rencontre pas seulement dans la peinture des paysages du Forez, de ces bords du Lignon, dont il décrit toutes
- ↑ Le souvenir de l’Astrée est également consigné dans les Mémoires du cardinal de Retz et associé par lui d’une façon assez piquante aux scènes de la fronde. Ce n’est point la partie pastorale ou descriptive du roman qui est ici en jeu, c’est la partie chevaleresque, c’est le siège de la ville de Marcilly, attaquée par le traître Polémas, un des poursuivans de la princesse Galathée, et défendue par le plus intéressant de ses adorateurs, le noble et généreux Lindamor, qui fournit au cardinal de Retz le sujet de cette autre anecdote : « Comme Noirmoutier, dit-il, revint descendre à l’hôtel de ville, il entra avec Matha, Laigues et La Boulaye, encore tout cuirassé, dans la chambre de Mme de Longueville, qui était toute pleine de dames. Ce mélange d’écharpes bleues, de dames, de cuirasses, de violons, qui étaient dans la salle, de trompettes qui étaient dans la place, donnait un spectacle qui se voyait plus souvent dans les Tomans qu’ailleurs. Noirmoutier, qui était grand amateur de l’Astrée, me dit : « Je m’imagine que nous sommes assiégés dans Marcilly. — Vous avez raison, lui répondis-je, Mme de Longueville est aussi belle que Galathée ; mais Marsillac (M. de La Rochefoucauld le père n’était pas encore mort) n’est pas si honnête homme que Lindamor. »