style de l’époque en fait d’amour et de galanterie, et lorsque Gabrielle-Daphnide, après avoir trahi par ambition Bellegarde-Alcidon, son premier amant, qui a eu l’imprudence de la faire connaître à Euric-Henri IV, cherche à le consoler en lui disant qu’elle l’aimera toujours, que l’affection qu’elle porte à Euric s’appelle raison d’état et celle qu’elle lui conserve amour du cœur, on se persuade aisément que cette belle personne a pu très bien faire elle-même et en propres termes une distinction de ce genre.
Il convient de terminer ici une étude dans laquelle nous nous sommes peut-être laissé insensiblement gagner par ce penchant au développement qui est le côté faible de d’Urfé. Il nous semble cependant qu’en signalant les défauts et les qualités de l’Astrée, nous n’avons point trop exagéré la valeur de cet ouvrage. La publication de l’Astrée est une date importante dans l’histoire de notre littérature romanesque. En tant que roman, ce livre a enrichi le genre de plusieurs nuances nouvelles qui l’ont agrandi et embelli. Sans insister de nouveau sur toutes ces nuances, assez indiquées déjà, rappelons au moins que c’est à d’Urfé qu’appartient l’honneur d’avoir introduit dans le roman le sentiment de la nature. Ce mérite le distingue tout à la fois et des romanciers qui l’ont suivi immédiatement sans lui emprunter ce qu’il a de meilleur, et de la plupart des grands prosateurs ou des grands poètes du règne de Louis XIV, qui ne sont point entrés dans la voie nouvelle que son talent avait ouverte aux inspirations de leur génie. Le fait seul d’avoir été au début du XVIIe siècle un peintre de la nature exact et ému suffit peut-être pour compenser tout ce qu’il y a de faux dans le genre pastoral adopté par d’Urfé : par ce seul côté, l’auteur de l’Astrée dépasse son siècle, et presque tout le siècle suivant, pour donner la main à l’auteur de Paul et Virginie, et c’est encore à lui qu’il faut revenir quand on veut marquer le point de départ de quelques-unes des plus charmantes ou des plus admirables productions de notre temps.