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touchée d’une cause amoureuse qu’autant qu’elle est plaidée par un joli garçon ?

— J’en suis certaine, répondit Olga en baissant la voix, et il n’y a plus de jolis garçons pour elle passé vingt-cinq ans.

Olga crut avoir décoché adroitement un trait flatteur dans le cœur de son fiancé quinquagénaire, mais il était mal disposé, et le trait s’émoussa.

— Elle a probablement raison, répondit-il de manière à n’être entendu que de la jeune Russe ; plus on s’éloigne de cet heureux âge, plus on enlaidit, et moins on doit prétendre à un mariage d’amour.

— Oui, répondit Olga, quand on enlaidit ; mais…

— Mais quand on n’enlaidit pas trop, reprit le baron, on est encore bien heureux de pouvoir songer à un mariage de raison !

Et comme Olga allait répondre, il lui ferma la bouche en ajoutant : — Ne l’accusez pas, cette pauvre fille. Elle a un grand mérite à mes yeux, c’est d’être sincère. Quand elle hait les gens, elle le leur jette si franchement à la figure, que l’heureux mortel qui lui plaira pourra se fier à sa parole. Celle-là ne trompera jamais personne !

Olga ne put rien répliquer : le baron s’était tourné vers une autre voisine et parlait d’autre chose.

La jeune Russe eut un grand dépit et une grande inquiétude. Dès qu’on se leva de table, Marguerite s’approcha d’elle, non moins inquiète, mais pour un motif tout différent. — Qu’est-ce donc que le baron vous a dit de moi ? lui demanda-t-elle en l’attirant dans un couloir. Il vous a parlé deux ou trois minutes en me regardant.

— Vous vous imaginez cela, répondit Olga sèchement ; le baron ne songe plus à vous.

— Ah ! je voudrais bien en être sûre. Dites-moi la vérité, ma chère.

— Votre inquiétude n’est pas très modeste, Marguerite, permettez-moi de vous le dire. Vous pensez que, malgré vos rigueurs, on doit persister à vous adorer ?

— Eh bien ! pourquoi pas ? dit Marguerite, résolue à piquer sa compagne pour lui arracher la vérité. Peut-être justement à cause de ma rigueur arriverai-je, malgré moi, à vous supplanter !

Un éclair de vanité blessée passa dans les yeux de la belle Russe.

— Marguerite, dit-elle, vous voulez la guerre, vous l’aurez ; tenez, reprenez vos dons ! Vous m’avez fait présent d’un beau bracelet ; je ne m’en soucie plus : j’ai une plus belle bague !

Et elle tira de sa poche une boîte qui contenait deux bijoux, le bracelet de Marguerite et la bague du baron.

— Le diamant noir ! s’écria Marguerite, reculant d’effroi… Vous osez toucher à cela ?

Mais se reprenant aussitôt : — N’importe, n’importe, dit-elle en