des serfs qui appartiennent à des particuliers; on les présente comme libres, et l’on vante les privilèges dont ils jouissent, les avantages territoriaux dont ils sont dotés. Cependant ils sont loin, on va le voir, d’être réellement émancipés, et en décrivant l’organisation donnée aux paysans de la couronne, nous ne ferons qu’indiquer une forme nouvelle du servage[1].
Dans un pays où tout semble possible à l’action du pouvoir autocratique, personne ne sera surpris qu’on ait proposé comme un remède au servage une mesure bien simple en apparence, l’expropriation des propriétaires actuels moyennant indemnité et la transformation de tous les serfs en paysans de la couronne. Il semblerait donc que le sort de ceux-ci ne laissât rien à désirer et n’appelât aucune réforme prochaine. C’est ce qu’il importe d’examiner, d’autant plus que nous touchons à la partie la plus essentielle du problème : l’organisation rurale et le communisme russe. On ne saurait scinder le débat : s’il s’agit de supprimer définitivement et sérieusement le droit de servage (krepostnoï pravo) dans les lois russes, les paysans de la couronne, des apanages et des autres administrations, doivent être compris dans la réforme projetée, car ils sont tous affermis à la terre. Il est bon sans doute d’abolir le pouvoir actuel des propriétaires fonciers, mais il faut aussi supprimer entre les cultivateurs toute distinction fondée sur la terre qu’ils habitent. Leur position ne saurait différer par le motif que les uns ont appartenu à la couronne, et les autres à des particuliers; tous doivent devenir également libres.
Un autre genre d’intérêt s’attache à la situation des paysans de la couronne. L’institution de la commune russe, glorifiée, on le sait, comme un merveilleux talisman qui écarte tous les dangers et qui préserve la Russie du prolétariat comme du paupérisme, — cette institution fonctionne aujourd’hui, de la manière la plus complète, dans les biens de la couronne, et les résultats qu’elle produit sont de nature à dissiper beaucoup d’illusions. Le communisme combiné avec la servitude, tel est le triste et instructif spectacle que nous offrent ces domaines si vantés, et, sur les terres de l’empire comme sur les terres seigneuriales, nos recherches aboutiront à une même conclusion, la nécessité de l’abolition du servage en Russie sous toutes ses formes.
Les domaines de l’empire comprennent les immenses étendues de terrain qui n’ont pas été l’objet d’une concession, cette source pre-
- ↑ Voyez sur le Servage russe la Revue du 15 juillet dernier.