Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/647

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regarder du côté des conséquences des actes ; le christianisme l’a prise et l’a retournée du côté de leur origine. Cet esprit moral possède si bien Browne, que les autres parties de la théologie, malgré son respect pour elles, ne sont à ses yeux que secondaires. Tout en exprimant des doutes sur les miracles des jésuites du Paraguay, « il souhaiterait qu’ils fussent vrais, et qu’ils eussent d’autres garans que la plume de leurs auteurs. » Il ne voit rien qui empêche que ces hommes d’une autre église, s’ils ont le cœur saint, aient reçu de Dieu le don de glorifier son nom par des prodiges. Tout en étant fort inquiet sur le sort des sages païens qui n’ont pas connu le Christ, il lui semble dur « de placer en enfer les âmes de ces hommes dont les nobles vies nous enseignent la vertu sur la terre… Quelle étrange vision, dit-il, ce sera pour eux de voir leurs fictions poétiques converties en réalité, et leurs furies imaginaires en véritables démons ! Comme l’histoire d’Adam sonnera étrangement à leurs oreilles, quand ils auront à souffrir à cause de l’homme dont ils n’ont jamais ouï parler, et quand eux, qui font descendre des dieux leur généalogie, ils sauront qu’ils sont la malheureuse lignée de la chair pécheresse ! » — « Mais, reprend-il, c’est un acte insolent de la raison que de discuter la justice des procédés de Dieu… Et après tout, les hommes qui vivent suivant la droite règle de la raison vivent seulement selon leur espèce, comme les bêtes suivant la leur. Ils ne font qu’obéir convenablement à l’injonction de leur nature, et n’ont donc pas droit d’attendre une récompense pour leurs actes. »

Il ne s’ensuit pas toutefois que Browne ne soit chrétien que par la conscience. Son intelligence aussi est vivement saisie, mais c’est encore d’une manière toute particulière. En étudiant la Pseudodoxia, nous avons remarqué comment il était à la fois très porté à croire quand il s’agissait des causes invisibles des phénomènes, et très avide de s’assurer par ses yeux quand il s’agissait des phénomènes eux-mêmes. Dans ses convictions religieuses nous retrouvons quelque chose d’analogue. Quoiqu’il ait autant que personne la foi historique, quoiqu’il soit convaincu que tous les événemens relatés par l’Écriture se sont passés de tout point comme elle les rapporte, il est clair que tout ce qui est trop défini le gêne, que tout ce qui ressemble à un fait est pour sa raison un texte rempli de difficultés, d’obscurités et d’énigmes où du reste il se complaît visiblement, sans souffrir de ne pas les résoudre. Il a calculé comment toutes les créatures, non-seulement avec leur volume, mais avec leur provision de nourriture, avaient pu tenir dans l’arche ; il a considéré que l’épreuve de la virginité telle que Dieu l’ordonna aux Juifs était très faillible ; il a remarqué que bien des femmes, et même des nations entières, échappaient à la malédiction de l’enfantement, qui dans la Bible semble prononcée sur le sexe entier. En