Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/649

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seulement ce que Platon lui avait enseigné, c’est-à-dire à le réfuter lui-même. J’ai traversé toutes les écoles, et n’ai trouvé le repos en aucune. Quoique nos premières études nous désignent connue des péripatéticiens, des stoïques ou des académiciens, je m’aperçois qu’à la fin les plus sages têtes deviennent presque toutes des sceptiques, et restent plantées comme des Janus dans le champ du savoir. »

Avec cette profonde conscience des limites de son intelligence, — et elle n’abandonne pas Browne, — on sent comment les mystères sont en quelque sorte la preuve qui lui démontre la vérité du christianisme. Ses yeux comme son jugement n’aperçoivent partout que des mouvemens dont les ressorts lui échappent, et d’admirables accords où s’atteste une sagesse qui ne se laisse pas saisir. Pour lui, ce qui distingue la réalité, c’est d’être inexplicable, et il voit un mensonge dans toute philosophie qui prétendrait lui donner une explication de l’univers où il n’existerait plus ni ombre ni inconnu. Cependant, comme chrétien, il n’a pour ainsi dire aucun sacrifice à imposer à sa raison : sa foi se borne à lui enseigner que dans ce monde tout est l’œuvre d’une providence et d’une toute-puissance que l’homme ne saurait concevoir. Sans viser à définir l’infini, elle lui donne pour tout ce qu’il voit d’impénétrable un nom qui signifie à la fois omnipotence, bonté suprême, intelligence sans bornes. Aussi le Dieu chrétien est-il pour sa raison même le mot authentique de l’énigme. Dans la retraite et la solitude de son imagination, il n’oublie pas de penser à lui et de contempler ses attributs. Il se confond avec cette éternité dont nul ne peut parler sans un solécisme, et à laquelle nul ne peut songer sans une extase. Il se délecte avec cette sagesse où il se complaît tellement que, pour cette seule contemplation, il ne regrette pas d’avoir été élevé dans la voie de l’étude. Peu d’hommes ont éprouvé autant que ce prétendu athée les ravissemens de la dévotion, la joie d’échapper à la terre pour se plonger dans l’infini; néanmoins, jusque dans ses ivresses religieuses, il est facile de reconnaître encore ce je ne sais quoi de minutieux et de questionneur qui forme un trait si marquant de son érudition et de ses recherches scientifiques. Lui-même nous parle en plus d’un passage des combats de sa foi et de sa raison, et de la trêve qu’il établissait entre elles. « En philosophie, écrit-il, sur tous les points où la vérité semble à deux faces, nul n’est plus paradoxal que moi; en théologie, j’aime à tenir la route royale et à suivre, sinon aveuglément, au moins avec une humble confiance, la grande roue de l’église qui me fait mouvoir. » Cela est strictement vrai, mais ce n’est pas tout à fait ainsi que j’exprimerais l’impression qu’il me laisse. Ce qui me frappe à chaque page de la Religio medici, c’est qu’en réalité il n’y a pas en Browne de ces conflits absolus qui forcent un