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chaque heure un cercle, varié dans sa monotonie, de prières, d’hymnes, de lectures pieuses, mettait un obstacle salutaire à la vulgarité et au laisser-aller qui depuis ont envahi les mœurs. On étudiait l’antiquité à la manière de Lebeau, l’histoire à la manière de Rollin. On arrivait par le sérieux, la probité et la lecture des anciens aux mêmes principes libéraux où la philosophie du siècle arrivait par une voie tout opposée. Une teinte générale de tristesse suppléait à la grande poésie, dont le sentiment manquait en général à cette époque. Ce n’était pas la tristesse énervante qui n’aboutit qu’à l’impuissance et qui est une des plaies de notre siècle; c’était la tristesse féconde qui naît d’une conception grave de la destinée humaine, comme la Mélancolie d’Albert Durer, maîtresse et créatrice des grandes choses. La légèreté morale de notre temps tient en grande partie à ce que la vie est devenue trop facile et trop gaie, et sans doute, si l’idéal de bien-être matérialiste que rêvent quelques réformateurs venait à se réaliser, le monde, privé de l’aiguillon de la souffrance, perdrait un des moyens qui ont le plus contribué à faire de l’homme un être intelligent et moral.

Le laïque s’occupant de théologie paraît dans les pays catholiques un si singulier phénomène, que beaucoup de personnes n’ont pu voir sans surprise un homme mêlé à nos luttes de tous les jours publier une Bibliothèque spirituelle et essayer de relever la littérature ascétique du discrédit où elle était tombée. D’autres ont cru que le goût de ces sortes d’ouvrages implique une adhésion plus positive que ne le comporte la mesure générale de foi qui a été départie à notre temps. C’est là une double erreur qui tient au peu de pratique qu’a notre siècle des choses religieuses. Il est vrai que la piété chrétienne supposait une foi arrêtée aux époques de dogmatisme théologique; mais elle ne la suppose plus depuis que la religion a quitté la sphère des disputes pour se réfugier dans la région calme du sentiment. A un autre point de vue d’ailleurs, il faut savoir beaucoup de gré à M. de Sacy d’avoir voulu relever le goût des lectures spirituelles. Ces lectures avaient de fort bons effets, en particulier sur les femmes. Elles les enlevaient aux soucis frivoles ou trop constamment vulgaires; elles prenaient la place qu’une littérature plate et immorale devait ensuite usurper. En donnant à leur religion une base individuelle, elles les préservaient de cette avilissante docilité, de cette abdication morale qui est l’effet inévitable d’une dévotion qui ne réfléchit pas. Un des traits les plus caractéristiques de la nouvelle école qui a pris, au grand détriment de la solide piété, la direction des consciences est précisément son impuissance à créer une littérature ascétique un peu sérieuse. Elle ne sait qu’injurier et disputer.. Où sont ses Tauler? où sont ses Henri Suso? Les saines doc-