rejeton impur d’une mère déshonorée !… Nous t’aurons bientôt rejoint… Attends que nous ayons franchi ta muraille… Mon sabre a le fil… — Peut-être, répond Bailey ; mais le cœur te manque… Viens donc, fanfaron ! ma baïonnette est toute prête… Voyons ton escalade !… Mais prends garde à la pointe qui te recevra… Et en attendant voici pour toi !… »
Ainsi parlait le brave petit Bailey, pour qui les deux cipayes placés sous ses ordres chargeaient tour à tour une douzaine de fusils. En fin de compte et à force de tirer, les cartouches vinrent à lui manquer. Or il ne se souciait ni de quitter son poste pour en aller chercher, car ses deux cipayes n’y fussent pas demeurés sans lui, ni d’envoyer l’un d’eux, qui certainement ne reviendrait pas, ni même de crier trop haut pour en avoir, de peur que l’ennemi ne comprît sa situation critique et ne tentât un coup de main qui eût immanquablement réussi. Comment il se tira de ce mauvais pas, Dieu le sait ; mais peu d’instans avant la fin de l’assaut le pauvre diable reçut une balle qui, après lui avoir écrasé le menton, sortit derrière le cou.
M. Rees, à qui nous devons ces curieux détails, avait passé lui-même toute la journée dans un état d’excitation fiévreuse qui lui a laissé, le croirait-on ? d’agréables souvenirs. « Je dois avouer, dit-il, qu’au début de l’affaire je sentis, pendant quelques minutes, la crainte de la mort prédominer en moi. J’étais certain, et c’était notre pensée à presque tous, que nous touchions à notre dernière heure. Je fis donc une courte prière, me remettant absolument à la garde de Dieu, et après avoir mentalement fait mes adieux à ceux que j’aime le mieux ici-bas, je chargeai mon fusil, et me préparai à combattre avec la ferme résolution qui convient au soldat… J’en eus bientôt fini avec ces craintes égoïstes. À mesure que le feu devenait de plus en plus intense, et lorsque je vis ces hommes avancer hardiment sur nous, la peur que j’avais éprouvée fit place à une excitation nerveuse, et finalement le désir de tuer, la soif de la vengeance l’emporta sur tout autre sentiment… Je n’avais rien pris depuis le matin, ajoute M. Rees après avoir rendu compte des événemens de la journée, et le combat fini, quand je me retrouvai en vie, sain et sauf, la peau intacte, je remerciai le ciel in petto ; puis je savourai mes chupatties[1] et un verre d’eau-de-vie que me donna Deprat avec un plaisir que les mots ne peuvent rendre. J’étais noir de poussière et de poudre, sale à faire peur ; mais une ablution, quelques instans de repos, mon pauvre dîner et un cigare pour dessert me mirent dans une situation d’esprit tout à fait digne d’envie. Depuis bien longtemps, je ne m’étais trouvé si heureux, — non, pas même avant d’avoir été cerné par ces damnés rebelles. »
- ↑ Gâteaux de farine.