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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/738

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Je dois pourtant dire qu’en fouillant parmi toutes ces rimes, j’ai trouvé un petit recueil de poésies simples, fraîches et élégantes : ce sont les Aspirations de M. A. de Vaucelle. Il ne nous a donné qu’une vingtaine de pièces, la fleur du panier sans doute, mais toutes imprégnées d’un parfum délicat et d’une douce naïveté de sentiment. Ses prétentions sont discrètes, on l’écoute avec plaisir, et c’est de la jeune et véritable poésie qui éclate dans ce petit recueil.

Certes on ne peut conclure de cet examen à la prospérité de la poésie en France, et pourtant ce n’est pas le sentiment poétique qui fait défaut. Il existe, mais à un état vague, que rend pire encore l’absence de la forme et du style. Étranges destinées que celles de la poésie! On a voulu qu’elle fût tout, et on l’a condamnée à ne plus rien être. Elle devait planer sur la société et se manifester à la fois comme la source et le moyen de tout progrès. Colonne de nuées pendant le jour, colonne de feu pendant la nuit, elle devait guider sans cesse l’humanité vers ce but de perfection qu’elle poursuit depuis son origine sans pouvoir l’atteindre. Ainsi apparaissait-elle comme la maîtresse, la souveraine, la consolatrice, l’inspiratrice, l’infaillible! Qu’est-il resté de ce rôle pompeux? Quelques phrases informes, que murmurent à peine encore quelques âmes naïves. Que reste-t-il de cette robe de pourpre dont elle a laissé des lambeaux à tous les buissons du chemin ? Elle nous revient aujourd’hui nue, honteuse, abandonnée, sans abri et sans nourriture, implorant pitié et feignant de ne pas voir le dédain qui l’accompagne.

Vous chantiez, j’en suis fort aise……

A quoi tient cette rapide décadence? Quelle est la raison de cette indifférence véritablement générale pour les nouveau-venus? pourquoi tant de mépris après tant de caresses? C’est que la poésie a voulu jouer un rôle où elle a été bien vite convaincue d’une impuissance radicale ; c’est que, loin de satisfaire même l’inquiétude morale dont elle fut dans notre siècle la première expression, elle a étendu cette inquiétude aux questions positives, dont elle prétendait à elle seule donner une complète solution. Nous lui devons, — et c’est trop tard qu’on l’a reconnu, — nos troubles et nos déceptions dans un ordre d’idées qu’elle a voulu dominer, et où elle n’a apporté que faiblesse et qu’aveuglement. En ce sens, Platon avait raison de bannir la poésie de sa république, et je ne connais pas d’erreur plus grande que celle où M. de Lamartine est tombé en disant que la poésie devait montrer à l’homme la vulgarité de son œuvre, et l’appeler sans cesse en avant en lui montrant du doigt des utopies et des cités de Dieu. Il n’est pas, que nous sachions, d’œuvre vulgaire pour l’homme, alors que cette œuvre est la satisfaction immédiate de ses intérêts et de ses besoins. Ce n’est pas dans de vagues rêveries, dans des aspirations confuses, mais dans les faits les plus ordinaires dont les diverses séries constituent ses différentes évolutions, que l’humanité doit chercher les données nécessaires au problème de sa conservation et de son progrès. C’est dans l’atmosphère qui le baigne, dans la boue végétale où plongent ses racines, que l’arbre puise la sève qui est indispensable à son existence et à son développement, et la pure contemplation des merveilles qui l’entourent serait pour son accroissement et sa vie d’un misérable effet. Si, pour accomplir l’étonnante destinée qu’on lui ré-