Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/776

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

major ? Et béni soyez-vous aussi pour m’avoir emmené dans cette course vivifiante qui m’exalte et me retrempe. Oui, oui, voilà ma vie, à moi ! le mouvement, l’air, le chaud, le froid, la lumière ! Du pays devant soi, un cheval, un traîneau, un navire… bah ! moins encore, des jambes, des ailes, la liberté !

— Vous êtes singulier, Christian ! Moi, je préférerais à tout cela une femme selon mon cœur.

— Eh bien ! dit Christian, moi aussi, parbleu ! Je ne suis pas singulier du tout ; mais il faut être l’appui de sa propre famille ou rester garçon. Que voulez-vous que je fasse avec rien ? Ne pouvant songer au bonheur, j’ai du moins la consolation de savoir oublier tout ce qui me manque, et de m’enthousiasmer pour les joies austères auxquelles je peux prétendre. Ne me parlez donc pas de famille et de coin du feu. Laissez-moi rêver le grand vent qui pousse vers les rives inconnues… Je le sais trop, cher ami, que l’homme est fait pour aimer ! Je le sens en ce moment auprès de vous qui m’accueillez comme un frère, et qu’il me faudra quitter demain pour toujours ; mais, puisque c’est ma destinée de ne pouvoir établir de liens nulle part, puisque je n’ai ni patrie, ni famille, ni état en ce monde, tout le secret de mon courage est dans la faculté que j’ai acquise de jouir du bonheur pris au vol et d’oublier que le lendemain doit l’emporter comme un beau rêve !… J’ai fait d’ailleurs bien des réflexions depuis ce punch dans la grotte du högar.

— Pauvre garçon ! vous êtes amoureux, tenez, car vous n’avez pas dormi !

— Amoureux ou non, j’ai dormi comme dort l’innocence ; mais on réfléchit vite quand on n’a pas beaucoup d’heures à perdre dans la vie. En m’habillant et en venant du Stollborg jusqu’à vous, une bonne et simple vérité m’est apparue. C’est qu’en voulant résoudre le problème du métier ambulant, je m’étais trompé. J’avais raisonné en enfant gâté de la civilisation. Je m’étais réservé des jouissances de sybarite. Vous allez me comprendre…

Ici Christian, sans raconter au major les faits de sa vie, lui esquissa en peu de mots les aptitudes, les besoins, les défaillances et les progrès de sa vie intellectuelle et morale, et quand il lui eut fait comprendre comment il avait essayé de se faire artiste pour ne pas cesser de se consacrer au service actif de la science, il ajouta : — Or, mon cher Osmund, pour être artiste, il faut n’être que cela, et sacrifier les voyages, les études scientifiques et la liberté. Ne voulant pas faire ces sacrifices, pourquoi ne serais-je pas tout simplement l’artisan sans art que tout homme bien portant peut être à un moment donné de sa vie ? Je veux étudier les flancs de la terre : ne puis-je me faire mineur, un mois durant, dans chaque mine ? Je veux