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Dji, qui s’adonnait particulièrement à l’élève des brebis. Un soir qu’il surveillait la rentrée de ses troupeaux, le Mahratte vit arriver une femme en habits de veuve, conduisant par la main un jeune garçon de quatre ou cinq ans. — Je suis ta sœur, dit la veuve en soulevant le voile qui couvrait son visage; voici le fils que m’a laissé en mourant mon mari Kounda-Dji. Les parens de mon époux nous voient d’un mauvais œil; ne me trouvant pas en sûreté près d’eux, je viens chercher un refuge sous ton toit.

— Sois la bienvenue ainsi que ton enfant, répliqua Naraïn. Que la joie et la douleur soient communes entre nous! — Puis, prenant le jeune garçon sur ses genoux : — Comment t’appelle-t-on? lui demanda-t-il.

— On me nomme Molhar, du village de Hol, au district de Phoultimba, dans le Dekkan, répondit l’enfant avec un sourire. Mon père était tchaogala[1].

— Veux-tu aller avec les bergers garder les troupeaux?

— Oui, répliqua l’enfant.

— Eh bien! dès ce jour tu fais partie de la maison; grandis librement sous mon toit, où personne ne viendra t’inquiéter.

La veuve vécut en paix dans la demeure de son frère. Naraïn avait de l’aisance, et, bien qu’il n’appartînt pas à la classe des grands tenanciers, qui constituent dans l’Inde une noblesse territoriale, les terres qu’il cultivait étaient à lui, et il prenait rang parmi les zemindars. Quant au jeune Molhar, il se plaisait d’autant mieux aux champs qu’il était, par son père, de la caste des gadris ou gardeurs de chèvres. Il passa son enfance à parcourir les campagnes cultivées et les terrains incultes qui entouraient la demeure de son oncle. Il devint alerte, vigoureux et hardi, si bien que Naraïn, le voyant de force à défendre ses troupeaux contre les voleurs et contre les tigres, le fit son premier berger. A la tête du paisible bataillon qui obéissait docilement à sa voix, le jeune homme sentait s’éveiller en lui l’ardeur du commandement; mais il fût resté longtemps encore dans l’humble condition de berger, si une circonstance extraordinaire n’eût attiré sur lui l’attention de Naraïn et des habitans du voisinage.

Un jour, pendant la chaleur de midi, les troupeaux s’étaient réfugiés sous les buissons pour y chercher un peu d’ombre. Le plus profond silence régnait dans la campagne, et sur l’azur du ciel se dessinaient, comme des points noirs, quelques grands aigles qui se balançaient dans les régions élevées. Le jeune pâtre, étendu sous

  1. Adjoint au chef de village. Le Dekkan ou Decan (du sanskrit Dakchino, le sud) est le nom que l’on donne à la partie méridionale de l’Inde en-deçà du Gange et au sud de la Nerboudda.