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heures, et tenant registre de leurs moindres observations, ne cessaient d’interroger tous les points de l’horizon, épiant les symptômes avant-coureurs de la délivrance. Ils remarquaient bien quelque agitation dans les rangs ennemis ; des corps nombreux allaient et venaient ; on entendait moins de clairons, ce qui paraissait indiquer que l’état-major des régimens révoltés avait quitté la ville. Quelques doulies observés sur la route de Cawnpore, un homme richement vêtu qu’on voyait haranguant la populace, il n’en fallait pas davantage pour éveiller l’attention et donner l’essor aux chimères. En attendant, la fusillade continuait sans relâche, et chaque jour faisait quelques victimes. L’une d’elles fut un pauvre porteur d’eau, tué tandis qu’il était à sa besogne, et dont le cadavre tomba dans le puits sur lequel il était penché : « grand malheur ! dit le staff-officer, car aucun des indigènes ne voudra plus boire de cette eau[1]. »

Le 22 septembre, la désertion avait recommencé sur une grande échelle : un cipaye du 13e, un artilleur indigène, deux domestiques et trois faucheurs (grass-cutters) disparurent pendant la nuit. Dans la matinée, profitant de la pluie qui tombait à flots, quatre autres subalternes parvinrent à s’échapper. Quelques heures plus tard cependant, ces petits malheurs étaient largement compensés : Ungud revenait, porteur d’une lettre qui annonçait positivement l’arrivée des secours si longtemps attendus.


VIII.

«… J’ai une rude tâche devant moi, car il me faut secourir Lucknow, et je ne dispose que de forces à peine suffisantes. Je ferai de mon mieux, mais l’opération est bien délicate, et il n’est que trop probable que la résidence sera tombée aux mains de l’ennemi avant que nous puissions la délivrer. Les misérables passeront tout au fil de l’épée, et cette pauvre Mary est enfermée là dedans, elle et son époux[2] ! »

Nous relevons ces lignes dans une lettre de Havelock datée de Cawn-

  1. Déjà le 1er septembre l’officier d’état~major inscrit dans son journal la mention suivante : « Pour transporter quelques morceaux de bœuf pris à l’abattoir, on s’est servi d’une des charrettes de l’entrepôt. Or on s’en sert aussi parfois pour porter le grain. Ceci a suscité de la part des Sikhs des observations dont il faut tenir compte. La charrette en question a été marquée en présence de tous les employés du commissariat, et des ordres stricts ont été donnés pour qu’on eût à cesser de s’en servir. On ne saurait être trop scrupuleux en ce qui touche aux idées de caste. »
  2. Mary Thornhill, nièce du général Havelock, mariée l’année précédente a un emploie du service civil. Son mari, Bensley Thornhill, fut mortellement blessé le jour même de l’entrée à Lucknow, au moment où il allait au-devant du capitaine Havelock, frappé lui aussi, et qu’on amenait à la résidence.