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la race, et le sixième fils de ce dernier, Madha-Dji, qui devait plus tard jouer un rôle important.

Djounka-Dji n’avait que vingt ans : son père, Djaï-Pat, qui s’était distingué dans les premières invasions du Malwa, ayant été traîtreusement assassiné à Nagpour par les princes radjpoutes, il venait de lui succéder comme chef de la famille et héritier des fiefs et des titres accordés jadis à son aïeul. Blessé d’une balle et d’un coup de pique, le bras en écharpe et perdant beaucoup de sang, il fut emmené prisonnier dans le camp des vainqueurs. Nadjib-Khan le Rohilla, qui nourrissait contre les Sindyah une haine implacable, insistait pour qu’on mît à mort le petit-fils de Rano-Dji. Le chef dourranie qui le tenait captif, espérant l’échanger contre une grosse somme d’argent, le cachait de son mieux, moins par humanité que par avarice. Entre les deux khans, il s’éleva bientôt une dispute qui arriva jusqu’aux oreilles du sultan Ahmed-Shah. Sommé par celui-ci de déclarer le lieu où il avait relégué son prisonnier, le Dourranie soutint obstinément que Djounka-Dji n’était pas tombé entre ses mains. — Que l’on fouille les tentes ! s’écria Ahmed-Shah avec colère. Aussitôt, craignant d’être surpris en flagrant délit de mensonge, le Dourranie s’empressa de faire disparaître le jeune chef mahratte en l’égorgeant. Ainsi périt le petit-fils de Rano-Dji-Sindyah. Son oncle, Madha-Dji, qui combattait à ses côtés, n’échappa à la mort que par le plus grand hasard. Fuyant le champ de bataille de Paniput, il fut poursuivi par un Afghan qui l’atteignit après une course acharnée et lui porta un si violent coup de hache sur le genou droit, qu’il en demeura estropié toute sa vie. Madha-Dji tomba à terre ; l’Afghan lui prit son cheval et disparut, enlevant tous les objets précieux qui ornaient la personne du Mahratte blessé. Un porteur d’eau du camp des Hindous, Mogol de race et musulman de religion, vint à passer. Il se sauvait comme les autres ; ayant reconnu Madha-Dji, qui gisait sur le sol baigné dans son sang, il lui tendit une main secourable et l’aida à s’asseoir sur le bœuf qui portait ses outres. Ce fut en cet équipage que retourna vers le Dekkan, la jambe fracassée, dépouillé de ses vêtemens et aussi de ses terres, celui qui devait un jour exercer une autorité incontestée sur la confédération mahratte remise de ce terrible échec, et concevoir un instant la chimérique pensée de chasser les Anglais du sol de l’Inde. Madha-Dji n’avait alors que seize ans ; il lui restait à fournir une carrière d’un demi-siècle, remplie de hardis combats et d’audacieuses entreprises.


TH. PAVIE.