Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/874

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ley, le premier ministre, lui ayant envoyé un billet de banque pour ses premiers articles, il se trouva offensé d’être pris pour un homme payé, renvoya l’argent, exigea des excuses; il les eut, et écrivit sur son journal : « J’ai rendu mes bonnes grâces à M. Harley. » Un autre jour, ayant trouvé que Saint-John, le secrétaire d’état, lui faisait froide mine, il l’en tança rudement. « Je l’avertis que je ne voulais pas être traité comme un écolier, que tous les grands ministres qui m’honoraient de leur familiarité devaient, s’ils entendaient ou voyaient quelque chose à mon désavantage, me le faire savoir en termes clairs, et ne point me donner la peine de le deviner par le changement ou la froideur de leur contenance ou de leurs manières; que c’était là une chose que je supporterais à peine d’une tête couronnée, mais que je ne trouvais pas que la faveur d’un sujet valût ce prix; que j’avais l’intention de faire la même déclaration à mylord garde des sceaux et à M. Harley, pour qu’ils me traitassent en conséquence. » Saint-John l’approuva, se justifia, dit qu’il avait passé plusieurs nuits à travailler, une nuit à boire, et que sa fatigue avait paru de la mauvaise humeur. Dans le salon de réception, Swift allait causer avec quelque homme obscur, et forçait les lords à venir le saluer et lui parler. « M. Le secrétaire d’état me dit que le duc de Buckingham désirait faire ma connaissance; je répondis que cela ne se pouvait, qu’il n’avait pas fait assez d’avances. Le duc de Shrewsbury dit alors qu’il croyait que le duc n’avait pas l’habitude de faire des avances. Je dis que je n’y pouvais rien, car j’attendais toujours des avances en proportion de la qualité des gens, et plus de la part d’un duc que de la part d’un autre homme. » Il triomphait dans son arrogance, et disait avec une joie contenue et pleine de vengeance : « On passe là une demi-heure assez agréable. » Il allait jusqu’à la brutalité, jusqu’à la tyrannie; il écrivait à la duchesse de Queensbury : « Je suis bien aise que vous sachiez votre devoir, car c’est une règle connue et établie depuis plus de vingt ans en Angleterre, que les premières avances m’ont constamment été faites par toutes les dames qui aspiraient à me connaître, et plus grande était leur qualité, plus grandes étaient leurs avances. » Le glorieux général Webb, avec sa béquille et sa canne, montait en boitant ses deux étages pour le féliciter et l’inviter; Swift acceptait, puis, une heure après, se désengageait, aimant mieux dîner ailleurs. Il semblait se regarder comme un être d’espèce supérieure, dispensé des égards, ayant droit aux hommages, ne tenant compte ni du sexe, ni du rang, ni de la gloire, occupé à protéger et à détruire, distribuant les faveurs, les blessures et les pardons. Addison, puis lady Giffard, une amie de vingt ans, lui ayant manqué, il refusa de les reprendre en grâce, s’ils ne lui demandaient pardon. Lord Lansdowne, ministre de la guerre, s’étant trouvé blessé d’un mot dans l’Exami-