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de celle du nord et de celle du midi. En second lieu, Kierkegaard croit détestable et impie qu’un établissement hiérarchique fait de main d’homme prétende être l’église proprement dite, c’est-à-dire la réunion de ceux qui possèdent la vérité religieuse et qui peuvent par conséquent imposer leur enseignement et leur foi à leurs semblables. Or il faut avouer qu’il a par quelques côtés raison contre l’église établie du luthéranisme danois, laquelle, comme l’église norvégienne, comme l’église anglicane, ne se prétend pas instituée de Dieu, et ne repose en conséquence que sur des décrets humains. Il veut enfin que l’église soit la réunion formée par le libre concours de toutes les volontés particulières, de tous les esprits et de tous les cœurs dans une seule et même croyance religieuse, de telle sorte que la conscience de chaque homme, éclairée par la lumière des Écritures, ait été pour lui la seule règle de sa croyance. Ce sont, comme on voit, les doctrines que Milton et tant d’autres depuis la réforme ont prêchées. Les églises établies que l’institution protestante a acceptées nous semblent peu autorisées, nous l’avons dit, pour répondre victorieusement et résister longtemps à de telles attaques. — Suivant les uns, Kierkegaard est un fou furieux, un fou qui, en aspirant à être plus chrétien que Jésus-Christ, veut substituer à une vraie et solide religion le jargon des abstractions qu’il a aperçues en rêve, un insensé qui a perdu tout respect, qui injurie et blasphème. Suivant d’autres, c’est un véritable chrétien en effet, qui ne veut rien savoir au monde si ce n’est Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié, qui expose sans lâches ménagemens sa foi simple, mais incorruptible, et dont la méthode socratique expose et suscite les plus profondes pensées.

Aux attaques de Kierkegaard, l’église danoise a opposé la meilleure réponse possible, celle qui devait le mieux sauvegarder son honneur et sa sécurité. Faisant un pas de plus que l’église norvégienne, elle a renoncé aux privilèges et au titre d’église d’état, et elle n’est plus aujourd’hui que l’église de la majorité. Peut-être, il est vrai, n’est-ce pas à elle seule, à son pur esprit de tolérance et de justice, qu’il faut faire remonter tout le mérite de cette sage concession; l’affranchissement politique du Danemark en 1849 a entraîné le progrès de l’affranchissement religieux. Il est vrai pourtant d’ajouter que l’église danoise, loin de regretter l’établissement d’une telle liberté, l’a au contraire accueillie comme un bienfait et a concouru à l’étendre. Elle s’est réjouie, dans l’intérêt même de la dignité et de la moralité religieuses, de ce que nul ne serait tenté désormais, pour éviter l’exil ou pour conserver ses droits de citoyen, de se faire hypocrite et de simuler un faux attachement à l’église nationale, et de ce que nul aussi ne ferait plus baptiser son enfant dans l’unique pensée de