Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/932

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les cours judiciaires du Danemark, sous l’ingénieux prétexte qu’un idiome comme le danois ne pouvait que brouiller les idées et mal formuler les expressions. Ce n’est pas tout encore : des tribunaux la langue allemande passa dans l’usage de tous les fonctionnaires par l’ascendant des grands propriétaires et des ducs de Gottorp, que leurs intérêts et leurs affections rattachaient à l’Allemagne, et l’on se servit même fort habilement à ce propos des prédicateurs de la réforme, qui, venus des pays germaniques, représentaient aux populations, ou peu s’en faut, le langage danois comme un langage païen, et l’expulsaient à la fois de l’école et de l’église. La haute école de Kiel, que les candidats aux fonctions publiques étaient tenus de fréquenter pendant deux années, contribua pour sa bonne part à germaniser ou plutôt à teutoniser (forlydske) toute la bureaucratie. En même temps, ce qu’il y avait de noblesse originairement danoise était repoussé du Slesvig, que la noblesse holsteinoise envahissait par ses domaines sans cesse agrandis; des corporations d’ouvriers allemands venaient s’établir dans les villes du Slesvig méridional, et la triple association de ces nouveau-venus avec les fonctionnaires et les grands propriétaires achevait de leur livrer toute l’influence dans l’administration communale. C’est pendant le XVIIIe siècle que se montrent tous les résultats de ce déplorable envahissement du Slesvig danois par le germanisme. Il faut lire dans l’ouvrage de M. Allen les incroyables récits de l’anarchie religieuse que causait en plus d’une paroisse la différence de langage entre le pasteur et ses ouailles. Les paysans, ne cédant qu’en apparence à la contrainte, récitaient, sans y rien comprendre, les prières et les psaumes en allemand, et maudissaient en danois le prêtre, qui le leur rendait avec usure du haut de la chaire allemande, sans les émouvoir, puisqu’ils n’y entendaient rien[1].

Nous le demandons à tout esprit impartial, le tableau tracé par M. Allen ne démontre-t-il pas clairement deux choses : d’une part les envahissemens perpétuels, manifestes ou secrets, de l’Allemagne, de l’autre le droit antérieur et primitif de la nationalité xcandinave en Slesvig? Et n’a-t-il pas fallu à cette nationalité toute la force que lui prêtait un droit originaire pour résister, comme elle l’a fait, par la langue et par la législation, ces solides attaches rivées dans le sol même, aux attaques violentes et aux influences délétères qui lui venaient de l’Allemagne?

Le heelstat, qui permet à la confédération germanique de s’ingérer dans les affaires du Slesvig et du Danemark propre en mêlant

  1. Remarquons en passant que, grâce à ce désordre, sans aucun doute, la messe latine fut conservée dans les églises du Slesvig fort avant dans le XVIIIe siècle.