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La même raison enlève à Cherbourg cette puissance d’agression contre l’Angleterre qui a été dénoncée avec tant de fracas par la presse anglaise. Avant de réunir à Cherbourg l’armement nécessaire pour lancer une expédition contre l’Angleterre, il faudrait toujours, à moins de s’exposer à un irréparable désastre, avoir résolu dans les eaux de la Manche, contre les escadres anglaises, la question préalable de l’empire de la mer. Cherbourg est assurément une grande force défensive pour la France, et qu’aucune escadre anglaise ne s’avisera d’insulter; mais il y aurait une telle témérité à y accumuler les préparatifs d’un débarquement en Angleterre, que cet établissement ne saurait avoir le caractère offensif qu’on a voulu lui attribuer. Telle est la conclusion que laisse dans les esprits la vue des lieux. C’est celle que les visiteurs anglais auront, croyons-nous, remportée en Angleterre, où nous espérons que les alarmes récemment inspirées par une partie de la presse ne tarderont point à se calmer.

Quand les alarmistes anglais auront repris leur sang-froid, ils cesseront sans doute de reprocher à la France actuelle l’achèvement et l’inauguration du nouveau bassin de Cherbourg. Nous n’avons jamais pu comprendre qu’on ait osé articuler un pareil grief au nom d’un peuple aussi sensé et aussi pratique que le peuple anglais. Nous portons à la paix, pour notre compte, un attachement profond, et nous avons une inclination vive et raisonnée pour l’alliance anglaise. Nos espérances sont conformes à nos désirs, et nous sommes persuadés que l’alliance et la paix triompheront des préjugés sauvages et des stupides passions qui s’élèvent contre elles. Cependant, malgré ces sentimens, si Cherbourg n’existait pas, nous conseillerions à notre pays d’entreprendre la construction d’un semblable établissement maritime, et nous ne pensons pas que les Anglais qui partagent nos sentimens eussent le droit de s’en offenser. Les peuples ni les gouvernemens ne sont maîtres de l’avenir, et c’est le premier devoir des peuples et des gouvernemens les plus amis de la paix de prendre leurs sûretés contre les éventualités qu’ils ont le plus à cœur de détourner. La nature n’a donné à la France aucune rade fermée sur la Manche. Puissance maritime et militaire, nous étions tenus à réparer cette défectuosité naturelle, et à nous assurer sur une mer où nous sommes si exposés un abri et une protection; mais l’initiative et la prévoyance de nos pères nous ont dispensés des travaux d’une pareille entreprise, ils ne nous ont légué que le soin de l’entretenir et de la terminer. Pouvions nous manquer à une pareille tâche? En tout cas, les Anglais ne nous ont jamais donné l’exemple de la conduite qu’ils nous reprochent de n’avoir point tenue, et nous ne sachions certes pas qu’ils aient jamais cessé, pendant la paix, d’achever les fortifications de leurs arsenaux commencées pendant la, guerre. C’est pendant les guerres de l’ancienne monarchie que Cherbourg a été commencé, et pendant les guerres de l’empire qu’il a été continué. Le gouvernement de Louis XVI y avait dépensé des sommes immenses. Napoléon y avait enfoui 29 millions. La France de 1830 y a dépensé des sommes plus considérables encore. Nous ne sommes point fâchés à cette occasion de réparer un oubli, involontaire sans doute, des fêtes de Cherbourg, en montrant par des chiffres exacts que le gouvernement parlementaire du roi Louis-Philippe est celui qui a pris la plus grande part à cet