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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/963

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adresse pour manier, à travers de telles difficultés, une chambre des communes sur la majorité disciplinée de laquelle il n’était point permis de compter. Le ministère tory a été heureux, et surtout habile. Il a été favorisé par les circonstances; mais il a su surtout profiter des circonstances qui s’offraient à lui. Le principal mérite en revient au leader de la chambre des communes, à M. Disraeli. Nous connaissons peu de figures politiques plus curieuses que celle de M. Disraeli, et il n’y a peut-être pas eu de notre temps de carrière plus extraordinaire que la sienne. On peut dire que la fortune politique de M. Disraeli est un de ces romans comme il aimait à en composer dans sa jeunesse, un roman dont il a conçu le plan à l’âge de vingt ans, et qu’il écrit encore sur les pages de l’histoire contemporaine de l’Angleterre. Que d’impossibilités se dressaient entre ce romanesque ambitieux et sa chimère! Il voulait être chef de parti et ministre de la couronne d’Angleterre, et il avait l’origine la plus antipathique aux préjugés anglais écrite dans son nom même; il n’était qu’un homme de lettres, un journaliste, un romancier. Nous admirons ce qu’il a fallu d’application incessante, de talent assoupli, de patience allègre et d’opiniâtreté infatigable pour vaincre les difficultés d’un tel point de départ. Depuis que M. Disraeli, qui, lui, n’a jamais déclamé contre l’existence et la constance des associations politiques, eut reconstitué le parti tory après le déchirement de la majorité conservatrice de sir Robert Peel, on peut dire qu’il a fait pour ce parti les mêmes miracles de persévérance et d’énergie qu’il avait accomplis déjà pour sa carrière personnelle, et qu’il a conduit son parti comme il est parvenu lui-même à des succès inespérés. M. Disraeli avec son ancien parti, composé de protectionnistes, avait contre lui tout le courant de l’opinion libérale anglaise, et ce dédain et ce ridicule qui poursuivent si cruellement les causes qui ont succombé à une réforme aussi importante qu’une révolution. Cette grande et invincible persévérance a enfin reçu, au bout de douze ans, son salaire inattendu. L’opinion anglaise, touchée de ces efforts qu’aucun échec n’a découragés, qu’aucun dégoût n’a lassés, a fini par tenir un compte sérieux de M. Disraeli et de son parti. Et aujourd’hui, dans le gouvernement de la chambre des communes, M. Disraeli emploie l’art consommé de cette tactique insinuante et volontaire qu’il a acquis en vieillissant dans les luttes du parlement.

Un jeune homme, qui est une des espérances de l’Angleterre, le fils de lord Derby, lord Stanley, a secondé puissamment M. Disraeli dans la campagne qui vient de finir. Autant la carrière de M. Disraeli a été traversée d’obstacles, autant celle de lord Stanley s’est ouverte large et facile devant lui. Lord Stanley n’a pas seulement l’avantage d’être l’héritier d’un des plus grands noms et d’une des plus grandes fortunes de l’Angleterre, d’être le fils d’un des chefs de l’aristocratie qui a conquis les premières charges de son pays par une éloquence extraordinaire : il est lui-même un homme d’un rare talent, qui, par son application aux affaires et par la sincérité de ses tendances libérales, a obtenu dès ses premiers pas les sympathies du public. Lord Stanley et M. Disraeli sont considérés comme représentant dans le cabinet l’élément, le plus progressif du ministère. Ce caractère leur a gagné le concours des libéraux avancés et des radicaux dans les difficul-