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le surplus d’indulgence qui pourra s’étendre jusqu’à eux et la situation qui leur sera faite désormais, il faut qu’ils s’en remettent absolument à la justice et à la clémence du gouvernement anglais. Ceux qui se hâteront de se montrer et de venir en aide au commissaire en chef de la province pour rétablir l’ordre et la paix trouveront cette justice et cette clémence largement appliquées. Le gouverneur-général envisagera d’un œil très libéral les titres qu’ils pourront ainsi acquérir à la restitution de leurs anciens droits. » Certes, pour des oreilles européennes, ce langage est singulier. Les droits revendiqués sont exorbitans, l’opportunité de cette altière revendication peut être contestée : qui le niera ? Encore faut-il apprécier les circonstances de temps et de lieu, et savoir si une parole moins énergique eût suffi pour obtenir les résultats désirés, et qui paraissent en voie de réalisation[1]. Est-ce au peuple qu’on s’adresse ? Menace-t-on les ryots de les chasser de leurs huttes de boue, de leur enlever leur pauvre champ de blé ou leur rizière ? Non, ceux-là sont inviolables dans leur misère insouciante. Ceux qu’on veut atteindre, ce sont les grands propriétaires, les grands barons du pays, ces zemindars, ces taloukdars, dont nous avons, au début de cette étude, éclairci les droits, expliqué la situation. De leur résistance obstinée ou de leur prompte soumission dépend non le sort, mais la durée de la campagne qui s’ouvre, et où a déjà coulé tant de sang anglais. Humilierez-vous devant eux votre drapeau victorieux ? Non sans doute. Procéderez-vous par simple injonction ? Habitués à un autre langage, ils trouveront celui-ci peu concluant. Menacerez-vous leur vie ? Mais vos baïonnettes et vos canons s’expliquent là-dessus plus catégoriquement que toutes les proclamations du monde, et cependant on ne les a pas intimidés. Restent ces biens immenses sur la possession desquels repose toute leur grande existence féodale et presque dynastique. Eh bien ! on les leur reprend, non pas en fait, mais en principe. On rétablit à leur usage la fiction qui a existé pour eux de tout temps. La terre était au souverain, la Grande-Bretagne est souveraine, donc la terre est à la Grande-Bretagne. Elle la laisse aux sujets fidèles, elle la rendra aux sujets repentans, elle ne l’enlèvera qu’aux rebelles obstinés. Voilà ce que dit lord Canning, voilà ce que tous ses prédécesseurs ont fait sans hésiter et sans encourir le moindre blâme. Qu’il y ait mieux à dire et surtout mieux à faire,

  1. Les dernières nouvelles reçues de l’Oude attestent que le commissaire Montgomery, appliquant la proclamation selon l’esprit et non selon la lettre, a déjà opéré la soumission de la grande majorité des zemindars et talouhdars, lesquels, à peine rentrés dans le devoir, obtiennent, avec la rémission de leurs crimes, la restitution complète et de leurs propriétés et même de leurs privilèges. L’annulation de ceux-ci est sans doute remise à des temps plus opportuns.