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On connaît les détails de sa mort. Atteint d’une maladie de poitrine, il était allé dans le midi de la France, à Montpellier, chercher le soleil qu’il aimait tant. Ni le soleil d’avril, ni les soins de l’amitié, ni les secours de l’art, ne purent le sauver. Il garda jusqu’au dernier jour la sérénité de son intelligence, l’exquise sensibilité de son âme. Du cœur et des lèvres il envoyait un souvenir à chacun de ses amis. Ses dernières pensées ont été pour sa mère et la Bretagne. « Quand je serai mort, disait-il à celui qui l’assistait, insérez quelques mots très simples, très modestes, dans un journal de Montpellier ; dites que la Bretagne devrait bien ouvrir une souscription pour faire transporter mon corps dans ma patrie. J’ai fait cela moi-même pour Legonidec[1]. » L’inspiration religieuse ayant été l’âme de sa vie et de ses chants, on me demandera sans doute dans quels sentimens il est mort. Je dois être discret sur ce point ; Brizeux a voulu mourir caché comme il avait vécu. Je le dirai seulement, car il ne me l’a pas défendu, et cette révélation contiendra peut-être un avertissement salutaire : le parti qui se prétend religieux, et qui éloigne du christianisme un grand nombre des plus nobles âmes de ce temps-ci, lui était devenu, dans ces dernières années, plus odieux que jamais. Il craignait d’être confondu avec ces pharisiens, et cette crainte le préoccupait beaucoup trop assurément : quel rapport entre l’artiste chrétien et de judaïques docteurs ? Il est mort (le 3 mai 1858, à cinq heures du matin) plein de foi et d’espérance, plein de foi en la bonté de Dieu et d’espérance dans une vie meilleure. Il s’accusait de ses fautes avec l’humilité d’un cœur pur : « J’étais si faible ! » disait-il. Le jour où son corps fut porté à l’église et de là au cimetière dans un caveau d’attente, l’ami qui ne l’avait pas quitté jusqu’à la dernière heure, se rappelant qu’à la mort de Klopstock on avait récité sur sa tombe les plus touchans épisodes de la Messiade, crut aussi pouvoir lire sur le cercueil de Brizeux quelques-uns des plus beaux chants sortis de son âme. Le lendemain, il écrivait à un ami ces paroles, assez peu orthodoxes, je le confesse, mais qui résument avec fidélité le christianisme confiant et les suprêmes aspirations de Brizeux : « Le cercueil va partir pour Lorient. Ce pauvre corps que j’ai vu tant souffrir reposera sous la terre de Marie ; l’âme est dans une autre Bretagne, en des mondes meilleurs, avec Platon, Virgile, saint Jean, Raphaël, saint Corentin, patron de Kemper, et saint Cornéli, patron des bœufs. »


Saint-René Taillandier.
  1. M. le ministre de l’instruction publique s’est empressé de contribuer à cette œuvre pieuse. Des souscriptions ont été ouvertes en Bretagne et à Paris. Brizeux aura sa tombe dans sa ville natale et un monument dans la vallée du Scorf. Un statuaire qui savait apprécier le poète, M. Etex, s’est offert généreusement pour sculpter ce monument funéraire.