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occuper des moyens d’apaiser leur faim, attirer et retenir durant tout le jour des enfans habitués aux impressions variées d’une vie errante? Un argument irrésistible, la privation de trois repas substantiels infligée aux élèves coupables de négligence ou de vagabondage, assura à l’établissement d’Aberdeen une population notablement plus assidue et plus sédentaire que celle des écoles où l’on ne dînait pas.

Une éducation qui n’ouvrirait point l’âme aux espérances d’un monde meilleur ne pourrait que rendre de tels enfans plus enclins à la convoitise et plus habiles à la fraude. « Les hautes et les moyennes classes de la société, dit M. Alexandre Thomson, qui a écrit l’histoire de ces écoles populaires, ont d’autres freins qui les détournent du crime et qui maintiennent les apparences de la vertu dans un milieu où elle manque réellement; mais dans les derniers rangs de la misère, sans la perspective d’un immense dédommagement, sans une foi sincère et profonde, il n’y a et il ne peut y avoir que le désordre le plus effréné. » Avant tout, c’est donc à faire des hommes religieux que tendent l’enseignement et la discipline du refuge d’Aberdeen.

Rien dans la demeure paternelle ne donnant à ces enfans l’exemple d’occupations régulières et suivies, le travail était pour eux chose toute nouvelle, et l’on eut d’abord une peine incroyable à obtenir d’eux un peu d’application pour quelque étude et pour quelque apprentissage que ce fut. Peu à peu cependant l’autorité des maîtres dompta ces natures à demi sauvages, et l’on vint à bout de mettre presque tous les élèves en état de gagner leur vie au sortir de l’école. On s’était beaucoup occupé de la question du logement, et l’on pensait d’abord que, si on laissait les enfans coucher chez eux, toutes les bonnes impressions de la journée seraient détruites par les mauvais exemples du soir. Heureusement pour la cause de l’institution, l’insuffisance des ressources fit abandonner l’idée de loger les élèves, et aujourd’hui, après plus de quinze ans d’expérience, il est constant que leur retour quotidien sous le toit paternel a rarement des conséquences fâcheuses, tandis que les leçons qu’ils rapportent au sein de la famille y exercent souvent l’influence la plus salutaire. Les premiers germes d’une transformation morale ont été maintes fois jetés dans le cœur de parens dépravés par le bégaiement de ces lèvres innocentes.

Le succès de cette première tentative détermina bientôt la création d’une école semblable pour les filles : elle fut ouverte le 5 juin 1843, et le nombre des élèves s’éleva promptement de trente à soixante. Ces deux maisons ouvertes aux enfans des deux sexes ne satisfaisaient pas cependant à toutes les nécessités de la population d’Aber-