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— Oui, la montagne noire où ces méchantes femmes portent les petits enfans qu’elles enlèvent pendant qu’ils dorment, et qu’elles mènent à Satan sur le cheval Skjults, qui est fait comme une vache volante. Alors Satan les prend et les marque en les mordant, soit au front, soit aux petits doigts, et ils conservent cette marque toute leur vie. Mais je sais bien pourquoi on dit cela de ma tante Karine.

— Pourquoi donc ?

— Parce que dans le temps, avant que je sois venu au monde, il paraît qu’elle avait apporté à la maison un petit enfant qui avait eu les doigts mordus par le diable, et que mon père ne voulait pas regarder ; mais mon père s’est mis à l’aimer plus tard, et il dit que ma tante est une bonne chrétienne, et que tout ce que l’on raconte est faux. Le pasteur de la paroisse ne trouve rien de mauvais en elle, et dit que, puisqu’elle a besoin de courir en dormant, il faut la laisser courir. D’ailleurs elle a dit elle-même qu’elle mourrait, et qu’il arriverait de grands malheurs si on la renfermait. Voilà pourquoi elle va où elle veut, et mon père dit encore qu’il vaut mieux ne pas savoir où elle va, parce qu’elle a des secrets qu’on lui ferait manquer, si on la suivait et si on la regardait.

— Et il ne lui est jamais arrivé d’accidens quand elle court ainsi dehors tout endormie ?

— Jamais, et peut-être ne dort-elle pas en courant ; comment le saurait-on ? Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’on est quelquefois trois jours et trois nuits sans savoir si elle reviendra ; mais elle revient toujours, quelque temps qu’il fasse, et aussitôt qu’elle a dormi et rêvé, elle n’est plus malade, et prophétise des choses qui arrivent. Tenez, ce matin… Mais mon père m’a défendu de le répéter !

— Si tu me le dis, Olof, c’est comme si tu le disais à ces pierres.

— Jurez-vous sur la Bible de ne pas le répéter ?

— Je le jure sur tout ce que tu voudras.

— Eh bien ! reprit Olof, qui, peu habitué dans la solitude de sa montagne à trouver à qui parler, était heureux d’être écouté par une personne sérieuse, voilà ce qu’elle a dit en s’éveillant au point du jour : « Le grand iarl va partir pour la chasse. Pour la chasse, le iarl et sa suite vont partir. » Le iarl ! vous savez bien ? c’est le baron de Waldemora.

— Ah ! ah ! il a été à la chasse en effet ; mais votre tante pouvait l’avoir appris.

— Oui, mais le reste, vous allez voir : « Le iarl laissera son âme à la maison ; à la maison, il laissera son âme. » Attendez,… attendez que je me rappelle le reste,… elle chantait cela,… je sais l’air, l’air me fera retrouver les mots.