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médecin plein de savoir et de dévouement, M. de Cayeux. « Jamais, me disait-il, les ressorts de l’entendement ne sont complètement brisés. L’homme ne perd que la puissance de les diriger, et encore même n’est-ce pas précisément le ressort de cette puissance qui lui fait défaut, mais plutôt la relation qui doit exister entre elle et les facultés intellectuelles. En un mot, l’aliénation mentale résulte non pas de la perte, mais de la désorganisation des facultés. Toute la cure consiste à rétablir dans leurs relations normales, dans leur engrenage, si l’on peut appliquer ce mot au mécanisme de l’esprit, des rouages accidentellement disjoints, mais toujours subsistans. C’est en lui rendant, par une continuelle gymnastique de l’intelligence, l’usage de sa volonté, que je parviens souvent à guérir le malade, et toujours à le préserver de ces accès de fureur qu’on ne savait pas prévenir autrefois. En obéissant à ma pensée, il finit par rentrer dans l’usage de la sienne. Le grand point est de ne jamais le laisser livré à lui-même. » Et en effet le docteur me montrait tous ses malades écrivant sous la dictée, apprenant à lire, récitant leurs leçons, ou occupés à des travaux de terrassement et de jardinage.

S’il y a beaucoup de différence, il y a aussi beaucoup de rapport entre l’insanité intellectuelle et l’insanité morale, entre la folie et l’habitude du crime. Dans l’un et l’autre cas, les remèdes violens irritent et aggravent le mal: dans l’un comme dans l’autre, c’est la faculté de vouloir, de mettre la volonté à exécution, qui est affectée. Sans parler de la monomanie du crime, il est constaté qu’un grand nombre de récidivistes avaient formé les meilleures résolutions, et que c’est l’énergie seule qui leur a manqué pour y rester fidèles. L’hypocrisie sans doute n’est pas rare dans cette malheureuse catégorie, mais on y trouve aussi beaucoup de repentirs sincères et même beaucoup de véritables conversions religieuses. Tel condamné que vous voyez à genoux, priant avec ferveur, une fois élargi, pourra sans doute retomber dans ses premiers erremens. Est-il certain qu’il ait voulu vous tromper par l’apparence de la piété? Non. Le plus souvent il se trompe lui-même en se croyant réformé, ou plutôt il l’est réellement au moment où il croit l’être; malheureusement, rendu à la liberté, il n’a plus la force de résister longtemps aux tentations contre lesquelles il n’a été exercé ni dans son état de captivité, ni lorsqu’il disposait de lui-même. Cette impuissance, après tout, est-elle particulière à la population criminelle, et ne la retrouve-t-on pas au fond même de la nature humaine? « Je fais le mal que je ne veux pas, dit l’apôtre, et je ne fais pas le bien que je veux. » Il paraît donc rationnel de chercher la réforme du coupable dans des procédés analogues à ceux qui guérissent les fous, c’est-à-dire dans une continuelle gymnastique des facultés morales, dans