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l’ardeur de la bataille, et qui mettent en relief les qualités les plus incontestables de Bastiat, la verve et l’intrépidité. S’il est du petit nombre des auteurs que leurs œuvres défendront contre l’oubli, il le devra à ses pamphlets, à ses sophismes, où il dit ce qu’il veut dire, où il se limite et se contient, où dans un cadre ingénieux il ne fait entrer que les matières qui y sont appropriées. Il le devra aussi à cette correspondance que d’intelligens amis ont recueillie et classée avec un soin dont on ne saurait trop les louer, et qui fait connaître et aimer Bastiat mieux qu’aucun des écrits qu’il multipliait au gré de la circonstance. On y voit bien ce qu’il est et quelle sincérité il apportait dans tous les actes de sa vie; on assiste à ses combats, à ses doutes, à ses accès de découragement, et tel est l’accent de conviction qui anime ces confidences qu’on les lit jusqu’au bout avec une émotion mêlée de respect. Ce qui y frappe par-dessus tout, c’est une passion pour la vérité qui ne se dément jamais et une solidité de croyance que ne ternit pas l’ombre d’un calcul.

Dans cette correspondance et dans des notes recueillies par un ami qui lui a fermé les yeux[1], on peut suivre Bastiat jusque sur son lit de mort. Depuis longtemps, sa vie n’était pour ainsi dire que l’effort de sa volonté; il s’y rattachait comme un ouvrier, quand le jour tombe, s’acharne après une tâche qui n’est pas remplie. Il sentait qu’il avait encore des services à rendre, des positions à défendre, des idées à exprimer; le corps s’en allait tandis que la pensée était toujours vigoureuse. De là cette dernière lutte à laquelle on ne peut assister sans attendrissement. Dès le printemps de 1850, sa maladie de poitrine avait pris une telle gravité que toute occupation suivie lui fut interdite. On l’envoya aux eaux des Pyrénées, qui à diverses fois l’avaient soulagé, mais qui aggravèrent son état; sa voix s’éteignit complètement; la respiration et l’alimentation même devinrent douloureuses. Il partit alors pour l’Italie, et on le savait si mal que le bruit de sa mort se répandit à Paris : les journaux le lui apportèrent, et ce fut lui-même qui le démentit. « Grâce au ciel! dit-il, je ne suis pas mort, ni même guère plus malade; mais enfin, si la nouvelle eût été vraie, il aurait bien fallu l’accepter et se résigner. Je voudrais que tous mes amis pussent acquérir à cet égard la philosophie que j’ai acquise moi-même. Je vous assure que je rendrais le dernier souffle sans peine, presque avec joie, si je pouvais être sûr de laisser après moi, à ceux qui m’aiment, non de cuisans regrets, mais un souvenir doux, affectueux, un peu mélancolique. » Ce n’était qu’un répit, et l’heure de la séparation devait bientôt sonner. Il languit quelque temps à Pise, puis à Rome, et vers la fin de l’an-

  1. M. Paillottet.