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de précieux renseignemens sur la position de l’escadre ennemie réfugiée dans le fleuve, et avaient appris que le seul chenal par où l’on pût arriver jusqu’à elle était du côté de la Manche de Tartarie. Se fondant sur ces données, l’on résolut d’aller chercher l’amiral Zavoïka dans cette retraite avec la Constantine et la corvette anglaise Spartan, transformées toutes deux en batteries flottantes. Là où avait pu passer une frégate hâtivement allégée d’une partie de son artillerie, ces deux navires devaient trouver aussi le fond nécessaire; mais, pour les mieux garantir contre les chances périlleuses d’un échouage dans ces passes inconnues, il fut convenu de n’y laisser à bord que les canons, l’équipage et quelques jours de vivres, et de pénétrer de la sorte, à la remorque des vapeurs, dans le bassin reculé où l’ennemi avait cru trouver un asile inabordable. La hardiesse de ce plan, dont l’idée première était due au commandant français, devait plaire à la vive nature du matelot, et tout faisait espérer qu’en se portant ainsi résolument par le travers des navires russes on réussirait à les capturer ou à les détruire. Cette perspective fit accueillir à bord de la Constantine la fête du 15 août 1855 avec une gaieté d’un heureux augure. L’année précédente, à près de deux mille lieues de là, ses canons avaient salué le même anniversaire sur les côtes sauvages de la Nouvelle-Calédonie, et la batterie du Port de France qu’elle venait d’y fonder avait baptisé son pavillon, en se joignant aux salves du navire. Cette fois les échos déserts du port d’Ayan lui répondirent seuls, et le soir, après qu’on eut amené le gai pavois, qui contrastait avec le morne silence de la rade abandonnée, les voiles furent de nouveau déployées pour suivre les Anglais, déjà en route vers le rendez-vous de la Manche de Tartarie. La Constantine allait enfin racheter par un éclatant fait d’armes la longue série des mécomptes de la campagne, elle le croyait du moins ; mais cette dernière chance devait lui échapper : un seul navire se trouvait au rendez-vous, et il n’y avait été laissé par le Commodore Elliott que pour nous informer des ordres supérieurs qui le rappelaient impérativement au Japon.

Le sort jaloux qui s’acharnait sur la division française ne lui faisait grâce d’aucune épreuve. Après avoir été successivement privé de tous ses navires par le naufrage et la maladie, réduit à l’unique Constantine, le commandant de Montravel s’était vu contraint à perdre un temps précieux en cherchant l’ennemi là où tout démontrait qu’on ne pouvait le rencontrer. Résigné à tout dans l’espoir d’une revanche décisive, il avait fini par faire adopter son plan, et c’était au moment où l’on allait toucher ce but laborieusement poursuivi que les ordres d’un chef depuis longtemps éloigné du théâtre des opérations obligeaient, on peut le dire, l’escadre anglaise à quitter le champ de bataille la veille du combat. Le commandant français