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due de pays double au moins de notre France. La Chine, nous le répétons, n’exerçait sur ces contrées qu’une autorité trop purement nominale pour être fondée à se plaindre de voir entreprendre ce qu’elle n’eût jamais songé à tenter; le Japon ne se voyait menacé que dans des possessions à peu près insignifiantes pour lui, et quant aux puissances européennes, leur inexcusable ignorance de ce qui se passait dans ces mers leur donnait moins de droits qu’à qui que ce fût d’intervenir dans le débat.

De tous les jalons plantés par les Russes, l’établissement formé à l’embouchure de l’Amour subsista seul pendant la guerre, et l’on conçoit qu’il ait assez vivement préoccupé l’opinion. On voyait nos escadres fouiller tous les points que des données inexactes nous représentaient comme centralisant le commerce ennemi dans ces parages; on trouvait l’un après l’autre ces points déserts, abandonnés, et l’on apprenait seulement alors le nom du port inconnu où s’étaient réunis ces navires tant cherchés. Il était naturel que l’on se laissât aller à en exagérer l’importance; c’est ce qui est arrivé, et la future ville de Nicolaief était à peine fondée sur les bords du fleuve, que l’on voulait y voir non-seulement une place de guerre de premier ordre, mais encore le gage assuré d’un prompt développement commercial. La position qu’à l’insu de l’Europe les Russes ont eu l’habileté de se créer sur les côtes de l’extrême Asie est assez belle par elle-même pour pouvoir être présentée telle qu’elle est réellement, avec ses avantages comme avec ses difficultés, au premier rang desquelles est jusqu’ici le manque, à l’embouchure de l’Amour, d’un port dans la véritable acception du mot. Notre récit a trop souvent ramené le lecteur autour des bancs qui obstruent cette embouchure et s’y opposent à toute navigation pour qu’il soit utile de nous appesantir de nouveau sur une description connue. Dans la mer d’Okhotsk, le brick dont nous avions capturé l’équipage avait été réduit à s’incendier par l’impossibilité de pénétrer dans le fleuve. Ce n’est pas, il est vrai, de ce côté que les Russes chercheront leur débouché; mais dans la Manche de Tartarie nous avons également vu la Pallas réduite par la même cause à la même extrémité, et l’Aurora, bien que d’un tirant d’eau inférieur, ne réussir à traverser ces passes difficiles qu’après en avoir péniblement labouré les bancs à la faveur d’un allégement anormal. En de pareilles conditions, on ne peut guère admettre qu’un port ouvert sur le fleuve même soit en mesure d’abriter les bâtimens au tonnage sans cesse croissant de la marine marchande, ni de jamais devenir autre chose qu’une tête de cabotage fluvial. C’est dans la baie de Castries qu’il faut chercher le port de l’Amour. Grâce au magnifique bassin du lac Kisi, quelques kilomètres seulement y séparent le fleuve du golfe de Tartarie; nul obstacle n’y