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quels les instrumens doivent être employés. On peut dire qu’il n’existe aucune science à laquelle s’applique avec autant de force qu’à la physique le sophisme connu des écoles scolastiques : « Pour forger le fer, il faut un marteau ; mais pour avoir un marteau, il faut que le fer ait été forgé. » Il est certain que, sans un guide, la méthode empirique s’égare : la plupart des grandes découvertes qui ont servi à constituer la physique moderne ont été dues en effet aux suggestions d’une théorie, d’une conception préconçue. De nos jours, les admirables travaux d’Ampère et de Fresnel ont montré avec quel succès l’esprit philosophique et l’analyse mathématique peuvent diriger la méthode expérimentale, qui, entre des mains vulgaires, n’est plus qu’un instrument sans valeur. Si toutes les sciences sont fondées sur cette méthode, il faut pourtant remarquer qu’elles ne la pratiquent pas toutes de la même manière : l’astronome et le naturaliste n’ont qu’à tenir les yeux ouverts sur le monde: ils décrivent, mesurent, comparent des phénomènes, mais ils ne les produisent pas eux-mêmes. La physique est dans une condition différente : la contemplation pure et simple de la nature ne peut lui suffire ; elle ne peut aborder l’explication des phénomènes qu’après les avoir restreints, dans ses appareils, aux proportions modestes qui lui conviennent ; elle les rend susceptibles d’une mesure rigoureuse, les dégage de tout ce qui les complique. Il faut qu’elle sache réduire à l’obéissance les forces naturelles. Ce qui dans le ciel est l’éclair devient dans le cabinet du physicien une mince étincelle ; un petit prisme de verre reproduit l’arc-en-ciel ; la gravitation, qui perpétue l’équilibre des grands corps célestes, fait mouvoir les délicates balances de l’observateur et osciller les pendules avec lesquels il mesure le temps.

Gênée dans le choix des méthodes et des instrumens, la physique l’est encore par son objet même, auquel l’unité fait essentiellement défaut. Elle est en réalité divisée en autant de branches séparées qu’on a découvert d’attributs divers dans la matière. Ce faisceau de sciences isolées est demeuré sans lien, tant que l’on a supposé une existence indépendante et propre aux principes des phénomènes physiques que nous nommons encore souvent improprement les fluides électrique, lumineux, magnétique. Pendant longtemps on expliqua tous les changemens qui s’opèrent dans les corps en attribuant à ces agens la faculté de se combiner avec eux ou de s’en séparer. Les corps chauds étaient censés émettre une substance que l’on nommait le calorique, les corps lumineux la lumière. Ces conceptions, par leur simplicité même, devaient se présenter les premières à l’esprit humain : elles ont présidé au progrès des sciences physiques, tant qu’on n’a étudié les phénomènes qu’en eux-mêmes,