Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/310

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais non pas faible, comme je le croyais. C’est un gaillard qui… Mais il ne s’agit pas de cela. Accourez ! soyez à Waldemora le 12 ; un de mes amis vous donnera de bonnes nouvelles.

« À bientôt, mon cher baron. »

Christian ne parla pas de cette lettre aux amis qui l’attendaient pour souper chez le ministre de Röraas, où nécessairement celui de Waldemora recevait, pour lui et ses amis, une cordiale hospitalité. Christian put être seul quelques instans ensuite avec Marguerite et sa gouvernante. Il fut plus hardi qu’il ne l’avait encore été. Il osa parler d’amour. Mlle Potin voulut l’interrompre, mais Marguerite à son tour interrompit son amie.

— Christian, dit-elle, je ne sais pas bien ce que c’est que l’amour, et quelle différence vous voulez me faire comprendre entre ce sentiment-là et celui que j’ai pour vous. Ce que je sais, c’est que je vous respecte et vous estime, et que, si jamais je suis libre et que vous le soyez encore, je partagerai votre fortune, quelle qu’elle soit. J’ai beaucoup travaillé depuis que nous nous sommes quittés ; je saurais maintenant donner des leçons, ou tenir des écritures comme tant d’autres jeunes filles pauvres qui travaillent, et qui ont le bon esprit de n’en pas rougir, comme Mlle Potin de Gerville elle-même, qui est de famille noble, et qui, pour avoir été forcée de tirer parti de ses talens, n’a déchu aux yeux de personne et n’a fait que grandir à ceux des gens de cœur… à preuve, ajouta-t-elle avec une tendre malice en regardant sa gouvernante, qu’elle est fiancée en secret avec le digne major Larrson, et qu’elle n’attend que mon mariage pour célébrer le sien.

Mlle Potin fut bien embarrassée de contredire Marguerite. Elle en voulait à Christian d’insister pour être aimé au moment où sa cause était perdue ; elle fut tout à fait fâchée contre lui quand elle vit qu’il se mettait à la suite de la petite caravane pour traverser les montagnes, et rentrer en Suède par Idre et les montagnes du Blaackdal.

Le lendemain, 12 juin 1772, Christian vit venir au-devant de lui, sur la route des montagnes, l’ami que M. Goefle lui avait annoncé, et qui n’était autre que M. Goefle lui-même, escorté du major Larrson. On s’embrassa, on échangea quelques mots d’ivresse affectueuse, et on arriva pour dîner au chalet du danneman, qui était tout pavoisé de fleurs sauvages. Karine était sur le seuil, comprenant à demi ce qui se passait et s’habituant difficilement à voir l’enfant du lac sous les traits du beau jeune iarl.

Le repas fut servi en plein air, sous un berceau de feuillage, en vue de cette magnifique perspective de montagnes dont Christian avait admiré, par un jour de décembre, la mâle et mélanco-