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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/323

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— Non, c’est son fils. Il sera bien riche ; ils ont je ne sais combien de métairies, La moitié du pays leur appartient, et la dame a dans le fournil deux barriques pleines d’écus de six livres !

— Et on fait garder les porcs à Janouet ?

— Oh ! pas toujours. On a renvoyé le dernier pâtre parce qu’il mangeait trop, et, en attendant qu’il en vienne un autre, Janouet garde les porcs du château.

Tout en causant, nous arrivâmes au chemin de Panjas, et je la quittai.

À quelque temps de là, un dimanche après vêpres, j’entendis dire sur la place que la sorcière du Catalan allait mourir. Personne ne la plaignait, et on se félicitait de cette mort comme d’un bonheur pour le pays. Cette nouvelle me rendit triste ; je pensai à toutes les bonnes soirées que j’avais passées dans cette cabane ; je songeai aussi à la petite Ménine, et, quoiqu’il fît un temps effroyable, je me dirigeai du côté des landes. Les chemins étaient changés en bourbiers ; une pluie froide chassée par un vent de mer me fouettait le visage ; la campagne était déserte. Je marchais d’un bon pas, car la nuit commençait à tomber ; enfin j’arrivai sur le plateau auprès de la cabane. J’hésitai pendant quelques instans à entrer. Un n’entendait aucun bruit ; j’eus peur d’être arrivé trop tard. Une partie de la muraille de terre était tombée ; il ne restait plus qu’une maigre charpente, le squelette de la maison. Le petit jardin était en friche. Les orties et la mauve l’encombraient. Aucune fumée ne sortait de la cheminée en ruine. Je frappai à la porte, une voix enfantine cria : Entrez. Je vis alors une chose lamentable : la chambre, ouverte à tous les vents, était complètement nue. La pluie avait changé le sol en bourbier, et à la place du foyer il y avait une mare d’eau pluviale. Dans un grand lit boiteux et sans rideaux, une créature humaine achevait son agonie. Je ne voyais pas sa figure, cachée dans la paille ; mais ses mains maigres remuaient cette paille et cherchaient à l’amasser autour d’elle. Sur ses pieds, il y avait un monceau de haillons, au milieu desquels brillaient les yeux de la petite. — La maman a froid, me dit-elle quand elle me vit entrer, je lui chauffe les pieds.

— Et tu es toute seule ? lui dis-je. — Elle me répondit qu’une voisine était allée chercher M. le curé.

Une femme entra alors. Elle tenait à la main une chandelle, une bouteille de vin rouge et un morceau de pain blanc. Dans nos campagnes, le vin rouge et le pain blanc sont des objets de grand luxe. On les offre à ceux qui quittent ce monde, surtout aux plus pauvres, afin qu’ils ne partent pas sans avoir goûté aux jouissances de la vie. La femme, qui était vieille, regarda la mourante et haussa les épaules. Elle avait vu bien des agonies, et savait qu’il n’y avait