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négocians du pays. Un jour, il me demanda si ce n’était pas le premier de chaque mois que le percepteur de Casaubon allait faire son versement à Condom, s’il ne passait pas par le chemin de Bourrouillon, s’il n’était pas ordinairement monté sur un cheval navarrais très ombrageux, et enfin s’il avait des pistolets. J’aurais pu le satisfaire sur tous les points, car j’avais été au service du percepteur ; mais je répondis d’une façon évasive, excepté au sujet des pistolets. J’affirmai que les pistolets étaient chargés, et que le percepteur, ancien militaire, saurait s’en servir au besoin. La vérité était que le brave homme avait l’habitude de mettre dans une de ses fontes une fiole d’eau-de-vie et dans l’autre ses rasoirs et son bonnet de nuit. Je fus inquiet néanmoins en voyant Saint-Jean renseigné d’une façon suffisante. Il savait évidemment que c’était la nuit suivante que le percepteur allait opérer son versement. Mes soupçons s’augmentèrent quand je le vis prendre dans la chambre aux outils un volant, espèce de serpe tranchante fixée au bout d’un bâton, arme très meurtrière dont se servent les brigands du pays. Il s’en alla ensuite dans le bois, et revint avec un bâton en châtaignier qui ressemblait fort à une massue. Je n’eus plus de doute alors, un crime allait se commettre, Janouet était perdu.

Je savais qu’il ne m’écouterait pas, qu’il n’écouterait pas sa mère. Il n’y avait qu’une seule personne au monde qui pût l’arracher à ce danger. C’était Ménine. J’allai la trouver, et je lui fis part de mes craintes ; elle m’écouta, et me répondit d’une voix triste : « Je n’ai plus d’influence sur Janouet, et si je veux la reprendre, cela peut me coûter cher. » Je la suppliai au nom de la vieille dame qui l’avait retirée de la misère de ne rien épargner pour sauver Janouet. « J’essaierai, » dit-elle.

Il était temps qu’elle intervînt ; la nuit tombait. J’aperçus Saint-Jean et Janouet qui se glissaient hors de la fenière et prenaient le chemin du bois. Ménine les suivit. Que se passa-t-il alors ? C’est ce que je ne sus que quelques heures plus tard. La nuit fut affreuse. Il pleuvait, il grêlait, il ventait. C’était une véritable tempête. On heurta à la porte du château. J’attendis quelque temps, croyant que Ménine allait ouvrir ; mais, ne l’entendant pas descendre, et ayant remarqué que c’était à l’aide d’un fourreau de sabre qu’on heurtait, je me hâtai d’aller ouvrir. La vieille m’avait devancé, et je la trouvai avec deux gendarmes. L’un d’eux s’excusa poliment sur son apparition à une heure indue ; mais il demanda qu’on allumât une chandelle, et déclara qu’il allait faire une perquisition. Tout le portait à croire, disait-il, que les assassins du percepteur de Casaubon devaient se trouver au château. La vieille dame fut stupéfaite et ne songea pas à demander des détails. Elle appela Ménine. Celle-ci était pâle comme un spectre, et tremblait. Le brigadier me fit {{tiret|quel|ques)