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dait Saint-Jean et Blasion. Nos paysans, qui trouvent souvent le mot juste, disaient qu’elle le traitait comme un excommunié, et ils avaient raison.

Quelques mois après son retour, il y eut un grand scandale à Panjas. Saint-Jean et Blasion, condamnés à mort par la cour d’assises, avaient subi leur peine à Auch. Le dimanche qui suivit cette exécution, le curé crut devoir prendre texte de cette lugubre circonstance pour effrayer les plus endurcis de ses paroissiens. La vieille dame et Janouet étaient à leurs bancs, et bien des regards se tournèrent vers eux pendant le sermon. Dans un coin de l’église, qui est vaste, ayant servi autrefois de chapelle aux bénédictins, derrière un pilier, il y avait une femme si entièrement enveloppée dans une capule noire qu’on n’apercevait que ses mains qui égrenaient le chapelet. Au moment où le prêtre, pour émouvoir la sensibilité un peu dure de ses auditeurs, s’appesantissait sur les détails du supplice, cette femme poussa un long gémissement et tomba sur les dalles. Des voisines s’empressèrent autour d’elle, et quand elles l’eurent débarrassée de sa capule, elles reconnurent Ménine. On la transporta dans le cimetière qui entoure l’église, et le sermon continua. À la sortie de vêpres, tous les habitans de la ville et de la campagne firent cercle autour d’elle ; mais loin d’avoir pour cette malheureuse fille les sentimens de pitié que son état réclamait, s’excitant les uns les autres, ils commencèrent à se moquer d’elle et de sa capule, qui dans les campagnes est un grand signe de deuil. Ils dirent qu’elle portait celui de Blasion, et l’appelèrent la veuve du supplicié. Quelques-uns proposèrent d’aller chercher des chaînes de fer, des coutres de charrue et des portes de four pour lui donner un charivari. D’autres, plus méchans encore, rappelant que la mère de Ménine était une sorcière, crièrent qu’il fallait en détruire la graine et proposèrent de la jeter dans une mare, et ils firent si bien que les deux femmes qui étaient venues au secours de Ménine commencèrent à s’effrayer et la laissèrent seule sur le gazon du cimetière. Janouet arriva alors. Il eut un moment d’énergie. Il rompit le cercle qui s’était formé autour de Ménine et marcha droit à elle ; mais sa mère, qui le suivait, le prit par le bras et l’emmena avec elle, à la grande risée des assistans, qui n’eurent pas, eux non plus, trop à se louer de la vieille dame, car, tout en conduisant triomphalement Janouet, elle les traita de lâches et de fainéans, leur reprochant de s’acharner tous contre une jeune fille. Ménine fut délivrée par le curé, qui lui donna asile dans son presbytère, et qui la fit ensuite reconduire par sa servante.

Ceux qui connaissaient Janouet et sa faiblesse furent eux-mêmes étonnés de la docilité qu’il avait montrée en suivant sa mère. Le pauvre Janouet n’était plus que l’ombre de lui-même. Il était en