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creuser la cervelle pour arriver à un résultat aussi simple et aussi logique.

— C’est bien, Christian, c’est bien ! s’écria M. Goefle. J’aime à vous entendre parler ainsi ; mais, moi, j’ai mon idée, je la garde, je la creuse, je la nourris,… et je vais lui faire prendre l’air. Qu’elle soit absurde, c’est possible ; je veux toujours voir Stenson, je lui arracherai son secret ; cette fois je sais comment m’y prendre. Je reviendrai dans une heure au plus, et nous irons ensemble au château. J’observerai le baron, j’irai chez lui savoir ce qu’il me veut. Il se croit fin ; je le serai plus que lui. C’est cela, courage ! À revoir, Christian. Allons, Nils, éclairez-moi. Ah ! tenez, Christian, voilà maître Puffo, à ce qu’il me semble.

M. Goefle en effet se croisa en sortant avec Puffo. — Voyons, toi ! dit Christian à son valet. Ça va-t-il mieux aujourd’hui ?

— Ça va très bien, patron, répondit le Livournais d’un ton plus rude encore que de coutume.

— Alors, mon garçon, à l’œuvre ! Nous n’avons pas une minute à perdre. Nous jouons le Mariage de la Folie, la pièce que tu sais le mieux, que tu sais par cœur ; tu n’as pas besoin de répétition.

— Non, si vous n’y mettez pas trop de votre cru nouveau.

— Pour cela, je ne te réponds de rien ; mais je serai fidèle aux répliques, sois tranquille. Cours au château neuf avec l’âne et le bagage ; monte le théâtre, place le décor. Tiens, le choix est fait : emporte ce ballot ; moi, j’habille les personnages, et je te suis. S’il faut absolument relire le canevas, nous aurons encore le temps là-bas. Tu sais bien que le beau monde met un quart d’heure à se placer et à faire silence.

Puffo fit quelques pas pour sortir, et s’arrêta hésitant. Johan, tout en le retenant prisonnier à son insu au Stollborg, l’avait, en causant avec lui, excité contre son maître, et Puffo était impatient de chercher querelle à celui-ci ; mais il le savait agile et déterminé, et peut-être aussi que, dans un recoin très inexploré de son âme grossière et corrompue, il s’était glissé un sentiment d’affection involontaire pour Christian. Cependant il prit courage. — Ce n’est pas tout, patron Cristiano, dit-il ; mais je voudrais bien savoir quel est le maroufle qui a tenu les marionnettes hier soir avec vous ?

— Ah ! ah ! répondit Christian, tu commences à t’en inquiéter ? Je croyais que tu ne soupçonnais pas qu’il y eût eu hier soir une représentation ?

— Je sais qu’il y en a eu une, et que je n’en étais pas !

— En es-tu bien sûr ?

— J’étais un peu gris, dit Puffo, élevant la voix, j’en conviens ; mais on m’a dit la vérité aujourd’hui, et je la sais, la vérité !