Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

convaincre. Ô Jean-Jacques ! avais-tu prévu cela pour ton Émile ? Non, sans doute, et pourtant tu as été assailli à coups de pierres dans ton humble chalet, et forcé de fuir la vie champêtre pour n’avoir pas su te faire craindre de ceux dont tu ne pouvais te faire comprendre !

« Voyons, qui es-tu, toi qui as failli me tuer ? dit encore Christian en parlant tout haut cette fois, pour se mettre en verve, et en ramassant la marionnette, qui gisait la face contre terre. Jupiter ! c’est toi, mon pauvre petit Stentarello ? toi, mon favori, mon protégé, mon meilleur serviteur ? toi, le plus ancien de ma troupe, toi, perdu à Paris et retrouvé si miraculeusement dans les sentiers de la Bohême ? Non, c’est impossible, tu ne m’aurais pas fait de mal, tu te serais plutôt retourné contre les assassins. Tu vaux mieux que bon nombre de ces grandes marionnettes stupides et méchantes qui prétendent appartenir à l’espèce humaine, et dont le cœur est plus dur que la tête. Viens, mon pauvre petit ami, viens mettre une collerette blanche et recevoir un coup de brosse sur ton habit couvert de poussière. Toi, je jure de ne plus t’abandonner ! … Tu voyageras avec moi, en cachette, pour ne pas faire rire les gens sérieux, et quand tu t’ennuieras trop de ne plus voir les feux de la rampe, nous causerons tous les deux tête à tête ; je te confierai mes peines, ton joli sourire et tes yeux brillans me rappelleront les folies de mon passé… et les rêves d’amour éclos et envolés dans les sombres murs du Stollborg ! »

Un rire d’enfant fit retourner Christian : c’était M. Nils qui était rentré sur la pointe du pied, et qui sautait de joie en battant des mains à la vue de la marionnette animée et comme vivante dans les doigts agiles de Christian, qui s’exerçait avec elle.

— Oh ! donnez-moi ce joli petit garçon ! s’écria l’enfant enthousiasmé ; prêtez-le-moi un moment, que je m’amuse avec lui !

— Non, non, dit Christian, qui se hâtait d’arranger la toilette de Stentarello ; mon petit garçon ne joue qu’avec moi, et puis il n’a pas le temps. Est-ce que M. Goefle ne revient pas ?

— Oh ! faites-moi voir tout ça ! reprit Nils avec transport en jetant un regard ébloui dans la boîte que Christian venait d’ouvrir, et où brillaient pêle-mêle les chapeaux galonnés, les épées, les turbans à aigrette et les couronnes de perles de son monde en miniature. Christian essaya de se débarrasser de Nils par la douceur ; mais l’enfant était si acharné dans son désir de toucher toutes ces merveilles, qu’il fallut lui parler fort et rouler de gros yeux pour l’empêcher de s’emparer des acteurs et de leur vestiaire. Il se mit alors à faire la moue, et s’en alla auprès de la table en disant qu’il se plaindrait à M. Goefle de ce que personne ne voulait l’amuser. Sa