Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/397

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

retrouvé Dieu au fond de son cœur ; quelque chose de plus doux et de plus résigné était venu se joindre à la consolation stoïque par laquelle il terminait la préface des Études historiques. « Il y a au monde, disait-il alors, quelque chose qui vaut mieux que les jouissances matérielles, mieux que la fortune, mieux que la santé elle-même : c’est le dévouement à la science. » Il avait entrevu quelque chose de mieux encore. Sans s’inquiéter de savoir s’il prêterait d’une part à rire aux incrédules, tandis que de l’autre sa foi serait suspectée, il disait ce qu’il pensait sur ces sujets éternels et dans la nuance exacte où il le pensait. Jamais, au reste, il n’avait laissé complètement vide dans son cœur la place qui appartient à Dieu. Autrefois, quand il était encore dans toute l’ardeur de sa jeunesse, mais lorsque déjà il était menacé de perdre la vue, il s’était demandé, sous le ciel bleu des îles d’Hyères, quelle devrait être la règle de sa croyance. Il avait rencontré là un Anglais, protestant zélé, dont la foi vivante avait fortement frappé cette âme restée si naïve au milieu du tumulte de la vie. Avec toute l’ardeur d’un néophyte, M. Thierry voulait alors couvrir la France de temples et l’inonder de bibles ; il pressait ses amis de se joindre à lui pour former un premier noyau de chrétiens évangéliques, et il s’étonnait de les trouver indifférens pour une cause qui lui semblait celle de l’avenir. Toutefois les préoccupations du moment avaient trop de part dans cette crise de son esprit pour qu’elle pût être de longue durée. D’ailleurs M. Thierry aimait trop le passé, il ne resta pas longtemps épris d’une religion trop neuve dans sa vérité pour l’historien des temps mérovingiens. Il lui fallait une tradition longue et suivie en religion comme en politique. N’ayant pas de système, il ne se croyait point obligé d’ailleurs de montrer un zèle intolérant contre ceux qui pensaient autrement que lui. On a beaucoup trop discuté le degré et l’ardeur de sa foi chrétienne. Il pensait pour son compte que tout devait se passer entre Dieu et lui ; il aurait été pénétré de douleur de voir son nom servir de drapeau à des prétentions qui n’étaient point les siennes, contre des hommes qui avaient été ses amis, et qu’il honorait.

Nous devons l’avouer, plus nous avons pensé à l’ensemble de cette forte et généreuse nature, plus nous nous sommes attaché à sa mémoire. M. Thierry appartenait à la classe, aujourd’hui trop rare, des esprits simples. Peut-être aurait-on pu lui souhaiter parfois un sentiment plus délicat des nuances dans les choses de la pensée ; mais il sentait largement et en grand. On devinait en lui l’homme capable de mettre les esprits en branle et de soutenir leur mouvement ; c’est là, à tout prendre, la tâche des grandes intelligences. Les révolutions de ce monde dans la politique et dans les lettres ne sont jamais que des ébauches. Il y a peu de grandes vé-