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propriétés individuelles, au lieu de les absorber. En un mot, la commune russe, pour devenir un élément de progrès et de sécurité sociale, doit se transformer à l’image de la commune des États-Unis.

La propriété privée, c’est là le dernier mot de l’abolition du servage; en faire comprendre les avantages, en faciliter l’accès, telle est la mission la plus féconde du législateur. Pour y arriver, il ne s’agit de rien imposer : on ne saurait contraindre personne à devenir propriétaire. Donner d’ailleurs la propriété aux paysans ne serait pas le meilleur moyen pour en assurer la conservation entre leurs mains. Du moment où ils disposeront à leur gré de leurs bras, du moment où ils pourront louer, acquérir, aliéner la ferme sans aucune entrave, ils ne tarderont pas à obtenir le résultat conquis par les anciens serfs affranchis de l’Occident, qui avaient couvert la France d’une immensité de petites propriétés privées bien avant la révolution.

Les rescrits impériaux et le programme du comité tendent à organiser, pendant l’époque de transition, le système du bail perpétuel; les propriétaires doivent prêter la main avec empressement à des arrangemens de cette nature; s’ils sont bien inspirés, ils abandonneront, même sans indemnité, les habitations aux cultivateurs devenus fermiers, et ils leur assureront le droit de rachat en facilitant l’exercice ultérieur de ce droit par des institutions de crédit. La transformation des rapports actuels pourra s’accomplir sans bouleversement, sans souffrances. Les conditions premières de la propriété, l’esprit d’ordre, de prévoyance, de labeur assidu, se populariseront au milieu des masses appelées aux bienfaits de l’existence civile. La propriété, comme la fortune, demande à être conquise par l’effort et par le sacrifice; elle profite rarement quand elle ne résulte que des jeux du hasard ou des abus de la force, et le même danger peut résulter d’une sorte de fausse monnaie philanthropique dont on prétendrait introduire le cours forcé.

Il pourrait y avoir danger à rompre brusquement les liens séculaires qui rattachent le paysan au propriétaire : au lieu de les briser, qu’on s’occupe de les transformer, de substituer le sentiment de la confiance mutuelle à la dure loi de la contrainte. Les écrivains les plus accrédités qui parlent au nom de la Russie assurent qu’elle a besoin d’une noblesse dans les campagnes comme d’une bourgeoisie dans les villes. L’agriculture, pour se développer, demande que les propriétaires actuels conservent des établissemens d’économie rurale. Cette nécessité est facile à comprendre du moment où le tiers-état fait défaut au milieu de ces immenses espaces : le progrès exige le concours de ceux qui, presque seuls aujourd’hui, possèdent les